Mrs. Dalloway
7.3
Mrs. Dalloway

livre de Virginia Woolf (1925)

Comme on prend le train en marche, on entre dans ce roman avec confusion : Clarissa, réflechit, se parle à elle-même, sort acheter des fleurs, croise une tête connue...puis on entre dans cette tête, on découvre les pensées d'untel, d'unetelle ; les observations s'entremêlent, les souvenirs s'enchassent, le point de vue sautille gaiement d'une dame de la haute londonienne du début du XXè siècle à l'esprit malade d'un jeune dépressif, en passant par la détestable -et détestée- boniche...puis Big Ben sonne, rythmant le tout de "cercles de plomb" qui se "dissolvent dans l'air".

Sur le papier, on pourrait croire que Woolf nous propose un Ulysse au féminin, dans un format plus ramassé. Seulement à la lecture, il s'avère que tout le fun, la folie, la brillante décoction fragmentaire onomatopéique de bribes de conscience dont Joyce abreuve son lecteur sont absents de Mrs. Dalloway, remplacés par une gravité que les "cercles de plomb" ne font qu'alourdir. Point d'orgue de cette absence de dérision, la récurrence absurde et vomitive de l'épithète "solonnel", accolé à diverses observations pontifiantes du narrateur (car il y en a un, malgré tout, narrant il est vrai dans un style indirect très libre).

Les 250 pages de ce prétendu chef-d'œuvre se subissent comme on expérimenterait une description du fronton de Notre-Dame par Marc Levy qui tenterait d'imiter le style de Proust. Ce dernier, d'ailleurs, jouant à condenser le temps lui aussi en se permettant d'élaborer un système littéraire complet lors de cinq minutes passées à attendre assis dans une anti-chambre, excellait à rendre compte de cette relativité de l'esprit, pour qui, lorsqu'il est occupé, une seconde peut durer un mois. A contrario, la temporalité outrée de Mrs Dalloway, rendue de surcroit sinistre à cause des coups "solonnels" de Big Ben, ne parait qu'un pretexte à faire dire/penser tout et n'importe quoi à ses personnages.

À un début aussi futile, une fin tout aussi futile eut paru appropriée... Las, Woolf cède à cette passion anglo-saxonne de l'épilogue, et nous sert un dénouement piètre et inconsistant, signe qu'une bonne idée ne se décline pas systématiquement pour le meilleur.

Reste le courant de conscience, solide performance d'écriture à l'intérêt toutefois plus que relatif dans ce contexte. Encore une fois, cette posture d'écriture s'apparente a posteriori à un gadget, sans vraiment se mettre au service d'un récit bien terne.
T_wallace
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le 23 juil. 2013

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le 23 juil. 2013

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