N'essuie jamais de larmes sans gants par HenriMesquidaJr

J'ai lu à peu près tout ce qu'il s'est écrit sur la littérature sur le SIDA en Français, en anglais et en Espagnol. Quelquestrès bon livres, de simples témoignages...


Je rencontre enfin un "grand roman". Et il vien de Suède et assure en plus un certain dépaysement et une très forte présence de Stockholm qui en devient presque un personnage.
J'ai lu à peu près tout ce qu'il s'est écrit sur la littérature sur le SIDA en Français, en anglais et en Espagnol. Quelquestrès bon livres, de simples témoignages...
Ce livre n'est pas de ceux qu'on dévore, il est de ceux qu'on lit lentement le souffle court, la gorge serrée. Malgré ses 800 pages et des poussières on prend le temps de savourer chaque mot parce qu'il n'y a rien d'inutile dans ce récit. La moindre anecdote, le moindre souvenir a un intérêt pour l'ensemble et si certains passages reviennent comme un refrain, c'est parce que à la lueur de ce qui a été dit entre temps, le sens des mots s'éclaire. C'est comme si l'auteur avait pesé chaque mot et s'était débarrassé de tout le superflu. Mais attention l'écriture est brutale, crue bien que poétique, elle prend aux tripes, coupe le souffle. C'est comme un cri de colère, qui mêle rage et tristesse et ne peut être contenu. En lisant j'ai grimacé, retenu ma respiration senti la colère et l'indignation m'envahir et les larmes me monter aux yeux.
L'auteur étouffe immanquablement dans l'oeuf chaque lueur d'espoir, aucune surprise de ce côté là. Il est implacable il n'y a pas d'issue possible il veut nous obliger à voir la vérité crue, sans fard,sans fioriture. Parce qu'à l'époque dont il nous parle et dans le contexte qu'il évoque il n'y avait aucun échappatoire, pourquoi en serait-il autrement pour le lecteur? Pourtant il y a des moments drôles d'autres touchants, tendres mais impossible d'oublier la mort qui rôde.
L'écriture est totalement maîtrisée malgré la violence des sentiments. Passé, présent et futur s'entremêlent et on navigue ainsi dans la vie des différents personnages sans que jamais le lecteur ne s'y perde. L'auteur n'a pas fait de ses personnages des héros drapés dans leur dignité, ce sont juste des hommes; certains exubérants d'autres introvertis, parfois odieux, parfois magnanimes, en colère... je les ai tous apprécié tant ils paraissent vivants. Il me paraît d'ailleurs probable que l'auteur se soit inspiré de personnes réelles. Impossible de les oublier. La dernière page tournée ils me manquent déjà. L'histoire de chacun des personnage est touchante: Benjamin, Paul, Rasmus, Bergt, Lars Ake, Seppo, ... mais c'est celle de Reine qui m'a le plus ému.
En plus d'être magnifique ce récit est une source d'informations impressionnante. le travail de recherche est titanesque: sur l'épidémie du SIDA bien entendu (traitement, évolution de la maladie, historique de son apparition, soins dans les hôpitaux, comportement du personnel soignant...) mais aussi sur les témoins de Jéhovah, sur la vie quotidienne de l'époque, dans les villes, les campagnes et sur les mentalités. L'auteur a fait un travail remarquable à tel point que son livre en devient presque un documentaire. J'ai appris beaucoup de choses.
C'est choquant de se dire que quand le SIDA ne concernait que les homosexuels et les drogués personne ne s'en est vraiment préoccupé. Il aura fallu que toute une génération de gamins soit sacrifiée et que l'épidémie touche tout le monde y compris «les braves gens» pour qu'il se passe quelque chose. Si les recherches avaient été lancées plus tôt certains seraient encore en vie. Mais ce qui m'a le plus révolté ce sont les humiliations imposées aux malades: si le SIDA leur a volé leur vie, la société leur a volé leur dignité. Ils ont du lutter contre la maladie mais aussi contre l'exclusion, la solitude, le rejet, la honte.
Le livre de Jonas Gardell leur rend un très bel hommage plein de panache et de dignité. Il mérite vraiment d'être lu.

HenriMesquidaJr
9
Écrit par

Créée

le 13 nov. 2018

Critique lue 687 fois

2 j'aime

HenriMesquidaJr

Écrit par

Critique lue 687 fois

2

D'autres avis sur N'essuie jamais de larmes sans gants

N'essuie jamais de larmes sans gants
Queenie
10

Gay Love and Death

J'aimerais pouvoir juste mettre BOULEVERSANT. Vraiment. Mais je vais faire plus. Ce ne sera pas à la hauteur de ce qu'il me reste de ma lecture, tant pis. Parce que ce livre m'a remuée, constamment,...

le 5 avr. 2017

3 j'aime

N'essuie jamais de larmes sans gants
HenriMesquidaJr
9

Critique de N'essuie jamais de larmes sans gants par HenriMesquidaJr

J'ai lu à peu près tout ce qu'il s'est écrit sur la littérature sur le SIDA en Français, en anglais et en Espagnol. Quelquestrès bon livres, de simples témoignages... Je rencontre enfin un "grand...

le 13 nov. 2018

2 j'aime

Du même critique

Jonas
HenriMesquidaJr
8

Critique de Jonas par HenriMesquidaJr

Magnifique premier film d'un jeune réalisateur ultra talentueux et plein d'avenir. Je l'ai vu en avant première, les acteurs sont tous formidables et bien dirigés, le scénario est malin et tient en...

le 16 sept. 2018

10 j'aime

L'Œuvre au noir
HenriMesquidaJr
9

Critique de L'Œuvre au noir par HenriMesquidaJr

Pour commencer, si vous avez l'intention de lire ce roman et que vos connaissances historiques sont faibles, il va vous falloir réviser. Je pense très sincèrement qu'il est indispensable de bien...

le 12 mars 2017

9 j'aime

2

Werewolf
HenriMesquidaJr
8

Critique de Werewolf par HenriMesquidaJr

Attention pas de loup garou dans ce film qui n'est pas non plus un film d'horeur mais un drame psychologique. Nous sommes en 1945. La guerre vient de se terminer mais les premières semaines de paix...

le 2 oct. 2019

8 j'aime