Comment vous dire... Il y a des histoires qui ne peuvent que vous toucher, vous le savez et vous voulez vous mettre à l'épreuve malgré tout.
C'est ce que j'ai fait avec No et moi qui raconte la rencontre entre Lou, une jeune ado surdouée qui vient s'incruster dans le monde impitoyable et sans merci des sans domiciles fixes, au travers de No, jeune femme qui vit dans la rue.
Lou nous parle à la première personne, du haut de ses treize ans et les questions pleuvent par millier dans sa tête, elle est drôle et touchante, surdouée et maladroite, emplie d'une force insoupçonnée. No est à la rue, sauvage, libre mais seule au milieu de la foule, insecte que la société tente d'absorber en toute discrétion. Alors imaginez quand le monde de Lou vient percuter celui de No, imaginez la multitude d'étoiles qui vont naître de cet évènement, naître et s'éteindre, cycle inaltérable de la vie.
J'ai tout simplement dévoré ce livre (quelques heures !), comme pour mettre fin au plus vite au malaise palpable comme la crasse sur les doigts de No, malaise qui s'insinuait au fil des pages, toujours plus pesant. J'ai ri, j'ai pleuré, j'ai ressenti de la colère, du dégoût, ça résonnait parfois en moi comme quelque chose qu'on veut oublier parce que ça fait trop mal d'y penser, au final, ce monde et la manière dont il tourne fou.
J'aurais aimé que tout cela ne soit, pour une fois, que de la fiction pure et dure.
"Avant de rencontrer No, je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu'elle est parfois invisible à l'œil nu. La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l'enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière. La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d'explication, ce qui à jamais restera opaque."
"Moi, je m'en fous pas mal qu'il y ait plusieurs mondes dans le même monde et qu'il faille rester dans le sien. Je ne veux pas que mon monde soit un sous ensemble A qui ne possède aucune intersection avec d'autres (B,C ou D), que mon monde soir une patate étanche traçée sur une ardoise, un ensemble vide.
Dans les livres il y a des chapitres pour bien séparer les moments, pour montrer que le temps passe ou que la situation évolue, et même parfois des parties avec des titres chargés de promesses, La rencontre, L'espoir, La chute, comme des tableaux. Mais dans la vie il n'y a rien, pas de titre, pas de pancarte, pas de panneau, rien qui indique attention danger, éboulements fréquents ou désillusion imminente. Dans la vie on est tout seul avec son costume, et tant pis s'il est tout déchiré. "
"Je pense à l'égalité, à la fraternité, à tous ces trucs qu'on apprend à l'école et qui n'existent pas. On ne devrait pas faire croire aux gens qu'ils peuvent être égaux ni ici ni ailleurs. Ma mère a raison. C'est la vie qui est injuste et il n'y a rien à ajouter. Ma mère sait quelque chose qu'on ne devrait pas savoir. C'est pour ça qu'elle est inapte pour son travail, c'est marqué sur ses papiers de sécurité sociale, elle sait quelque chose qui l'empêche de vivre, quelque chose qu'on devrait savoir seulement quand on est très vieux. On apprend à trouver des inconnues dans les équations, tracer des droites équidistantes et démontrer des théorèmes, mais dans la vraie vie, il n'y a rien à poser, à calculer, à deviner. C'est comme la mort des bébés. C'est du chagrin et puis c'est tout. Un grand chagrin qui ne se dissout pas dans l'eau, ni dans l'air, un genre de composant solide qui résiste à tout."
"Et si c'était ça le bonheur, pas même un rêve, pas même une promesse, juste l'instant."