Derrière ce nom qui laisse songeur, se dresse dans le pays aux sept collines un lycée catholique de jeunes filles, perché à 2500 m d’altitude, sur les bords du fleuve le plus long du monde. Cela laisse bien évidemment rêveur, mais la réalité qui se joue dans cette institution est tout autre. En effet, sous la coupe de religieuses Belges et d’enseignants français, l’internat rassemble des jeunes filles issues de l’élite rwandaise au début des années 70, loin des hommes, de la capitale et de la tentation…

Elles sont filles de ministres, de riches commerçants, de militaires, mais surtout elles sont pour la plupart issues de la majorité Hutu. En effet, seul un quota ethnique de 10% permet aux jeunes filles Tutsi, dont Virginia et Veronica font partie, de prétendre à la scolarité dans ce pensionnat, pour préparer un diplôme qui ne sera jamais l’équivalent d’un diplôme Hutu, puisque le vrai diplôme, « c’est la carte d’identité »…

Cet internat aurait pu ressembler à tous les internats du monde, avec ses jours de confessions, ses histoires de cœur, ses moqueries et ses amitiés, s’il n’y avait eu la question ethnique derrière.

En effet, dans ce huis-clos qui réunit toutes les prémices des atrocités du génocide à venir, et devant l’incrédulité et la passivité des européens, Scolastique MUKASONGA nous décrit sans détour et d’une plume directe la montée de la haine au sein de la société rwandaise, à un âge où les différences se masquent à l’accoutumée et où les liens d’amitié se créent sans aucune arrière pensée. Dans ce roman se joue l’histoire future du Rwanda, mais aussi de la famille de l’auteure, dont sa mère et une grande partie des membres de sa famille ont péri durant les massacres.

Avec l’arrivée de la saison des pluies, on sent monter la haine et le basculement vers un point de non retour, tout cela sous la houlette de Gloriosa, fille de ministre Hutu qui va se transformer peu à peu en prêtresse de l’extrême et va attiser une violence qui peut paraître à nos yeux insoutenable. Mais la force de Scholastique, c’est la finesse de son écriture et son style, qui ne bascule jamais dans l’horreur mais qui nous interpelle fortement. Car on y trouve malgré tout ce que l’on trouve dans l’adolescence : les ambitions, les rêves, les doutes, et l’incompréhension d’une réalité qui nous dépasse.

Il faut être fort pour raconter une partie de son histoire et en faire une œuvre universelle, surtout lorsque celle-ci est tragique. C’est le cas de Scholastique MUKASONGA, qui nous ouvre les yeux sur une réalité qui parfois nous paraît (trop) éloignée…et l’on comprend pourquoi le prix Renaudot lui a été décerné.

Laurent METAIS
madamedub
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le 18 févr. 2013

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