Ce roman se lit comme on écoute un disque d’Arnaud Fleurent-Didier : avec une impression de tristesse diffuse, en ne sachant pas vraiment si le propos est révolté ou complaisant, si le ton est celui de la compassion ou de la misanthropie. Ivan et Noémie sont un couple de trentenaires parisiens, esthètes de bon goût mais déchirés par d’insolubles contradictions. La jeune femme est enseignante en ZEP et peine à transmettre à ses élèves la passion des lettres et de l’histoire qui l’habite, même lorsqu’elle les emmène au Panthéon, ce « medley ingénieux ». Elle est chapeautée par Mehdi, un collègue plus doué, qui « semblait savoir mieux que les autres quoi montrer de la culture française aux adolescents de la cité, ce qui était citoyen et ce qui ne l’était pas, ou moins, ou pas toujours. » Ivan, lui est « un garçon open, open comme un smiley », il mène une carrière épanouissante d’acteur publicitaire jusqu’au jour où un accident de travail l’immobilise durant des mois et le met hors circuit. Cet épisode va les plonger graduellement dans une démarche de sécession d’avec la société qui est la leur. « La France était trop petite pour leur déception. » De plus en plus marginalisés, en pleine détresse identitaire, ils partiront à la recherche du bon sauvage sur un mode rousseauiste, sans jamais parvenir à le trouver.


L’auteur, avec un sens de la formule consommé et souvent drôle – comme lorsqu’il évoque ces étudiants d’hypokhâgne « émoustillés par les audaces neurasthéniques d’Octave Mirbeau » – se sert essentiellement du récit comme prétexte pour poser un constat assez subtil, celui d’une classe moyenne cultivée, tiraillée entre l’idéologie bobo et un besoin inconscient et presque panique d’authenticité, la nostalgie inavouable d’un monde différencié… « Ils avaient tant voulu se fondre dans des peaux étrangères, et s’y fondant ils s’étaient perdus. » De l’impasse de la muséification du pays (déjà persiflée par Houellebecq dans "La Carte et le Territoire") jusqu’à l’idéalisation des arts premiers, la quête de l’impossible exotisme ou la récupération sectaire du désir ambiant de retour aux sources, le phénomène est décrypté sur le mode de l’allusion, de l’illustration, avec une indéniable pertinence. « Au fond on ne savait rien de la France d’avant. Qu’avaient-ils dans leurs yeux, […] ces Français qui nous avaient engendrés, nous les condamnateurs de pires crimes commis par eux, les contempteurs des temps passés qui adorions pourtant le devoir de mémoire ? »

David_L_Epée
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le 17 nov. 2015

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