A la façon dont l'intrigue se noue, ou ne se noue pas en l'occurrence devrait-on dire plutôt, Oblomov n'ayant pas l'obligeance de quitter son lit pendant les cent premières pages du roman, on pense a une fiction satirique dans le goût de Swift ou de Gogol. La très improbable série de visites qui se suivent à tenter d'emmener Oblomov chez la Comtesse, en promenade en fiacre ou simplement hors de son poussiéreux appartement, au grand air de Saint Pétersbourg, est tenue en échec par la colossale force d'inertie et le redoutable esprit d'indécision du personnage, qui s'est suffisamment éloigné de la société pour ne plus savoir pour quelles raisons il pourrait bien souhaiter quitter son divan et sa robe de chambre. On imagine très bien cette première partie mise en scène au théâtre, sur un mode évidemment comique - ce qui a certainement dû être déjà fait, en Russie et ailleurs. Mais derrière la farce de Molière pointe l'ombre d'Alceste, la pureté voire la naïveté d'un homme qui refuse de s'engager dans la vie sociale qu'il voit comme une dégradation de son idéal. C'est alors, chose étonnante, que la parodie cède progressivement la place au drame existentiel, à celui d'une volonté prisonnière d'elle-même, de ce qu'elle croit vouloir et qu'elle ne parvient à réaliser. A la maxime de Platon suivant laquelle "nul n'est méchant volontairement" répond l'épitre aux Romains : "Le bien que je veux, je ne le fais pas". Le monde d'Oblomov est ainsi le même que celui du narrateur au début de la Recherche, ou le sens de l'action s'est perdu et sévit une préoccupante "maladie de la volonté". C'est pourquoi Oblomov, rentier oisif, incapable de se chausser sans l'aide de son domestique, a parle aux hommes d'action les plus frénétiques que menacent toujours le dilettantisme et l'ennui. Au bout du compte en effet, la volonté reste le thème du livre de Gontcharov, quand Proust a réussi a trouver en chemin un sujet autrement précieux : c'est peut-être cette amertume de n'être pas devenu Proust, bien que ce soit aussi la cause de son succès, qui pousse Gontcharov à une mise en scène pour le moins sarcastique de lui-même à la fin du roman.