Il existe différentes attentes à la lecture d’un roman, l’une d’entre elle est de se divertir, de s’évader, de passer un bon moment.


Oraisons la remplit parfaitement. L’auteure y expose un univers d’une grande richesse, nourri de diverses influences littéraires (la fantasy bien sûr mais aussi le roman policier, le roman d’aventures et la romance) et extralittéraires (le jeu vidéo, le cinéma mais aussi l’histoire contemporaine et l’Histoire tout court), où imaginaire et réalisme se mêlent avec bonheur. Cette richesse d’imagination va de pair avec une architecture relativement complexe mais très lisible.


Cet univers est en effet servi par un récit bien construit, croisant les intrigues, les lieux et les époques avec fluidité. La mécanique mystère/révélation crée le suspens, et l’alternance de chapitres courts et d’interludes permet de tenir le rythme tout en apportant les informations nécessaires à la compréhension. Pour ce dernier point, l’auteure utilise également une belle astuce : le recours à de la documentation fictive (encyclopédie, articles de revue, extraits de journaux intimes par exemple) citée à chaque début de chapitre pour dévoiler les pans de son univers. En plus de constituer de précieux repères pour le lecteur qui lit le roman sur une période assez longue (ce qui fut mon cas), les extraits de documents fictifs évitent à l’auteure de longues descriptions et lui permettent donc de se concentrer sur l’intrigue sans appauvrir le fond.


Oraisons est donc un roman abouti et travaillé avec professionnalisme et ambition, ce qui mérite d’être souligné quand on sait que l’auteure a commencé son écriture au lycée ! Nul doute que de nombreuses histoires ont été écrites ou imaginées avant celle-ci et préparé cette première œuvre.


Mais le roman ne tient pas que sur l’architecture et l’intrigue, un soin tout particulier est apporté aux personnages, principaux comme secondaires, soigneusement introduits et dotés chacun de traits qui leur sont propres. Les personnages, et surtout les relations qui se tissent entre eux, constituent l’une des grandes réussites de ce premier roman : attachants et bien construits, ils ont chacun leur personnalité, leurs contradictions et leur part d’ombre. Chacun évolue en fonction de son chemin propre et de ses rencontres.


Oraisons satisfait donc pleinement les envies d’évasion et de divertissement, mais ceux qui attendent plus de la lecture d’un roman y trouveront aussi de nombreux thèmes et sous-thèmes qui lui confèrent une épaisseur supplémentaire. Les citer tous serait un peu vain, je me contenterai donc de ceux qui me semblent les plus importants : le thème des interactions entre la religion et le pouvoir politique, celui de la religion en général (qui aboutit à une audacieuse inversion des valeurs religieuses), le thème du complot, de la vengeance, des relations et de la manipulation des corps et des esprits. Oraisons est aussi un roman adolescent par excellence et de nombreux thèmes s’y rapportent : le conflit des générations, la filiation, la découverte de la sexualité et de l’autre, la quête de soi et le rapport au monde.


La deuxième grande réussite du roman est le traitement du thème de la femme : forte, déterminée mais meurtrie dans son esprit et sa chair, la femme chez Samantha Bailly est en construction, en découverte d’elle-même. Ce thème recoupe celui des relations et se redouble de celui de l’amour : tels personnages vivent un amour impossible, tels autres constatent l’écart entre amour qui se rêve et celui qui se construit dans le temps, y compris à travers les épreuves.


Une dernière attente peut être celle du style, de la qualité de l’écriture. De ce point de vue, l’écrivaine ne démérite pas : en plus de ses qualités de composition et de narration citées plus haut, elle présente une écriture sobre mais élégante et solide. Précise, sa plume ne néglige pas le détail mais évite les fioritures, ce qui est souvent une marque de bon goût. L’auteure n’oublie pas non plus d’ajouter quelques touches poétiques et d’aimables pauses humoristiques dans son récit plutôt sombre. Enfin, certaines phrases sonnent particulièrement justes et rappellent que les distinctions entre littérature adulte et adolescente ou entre littérature généraliste et littérature de genre ne sont que des constructions.


Tous ces aspects témoignent de la grande qualité d’un roman qui a malgré tout des limites. La plume de Samantha Bailly trébuche sur quelques maladresses de style et certaines scènes s'avèrent malhabiles ou trop vite expédiées. Le lecteur sourcilleux relèvera également une ou deux incohérences et regrettera que l’auteure recoure parfois à certains clichés, à des facilités et ficelles un peu artificielles.


Ces réserves n’empêchent en rien la magie et le charme d’opérer, et si le lecteur prend beaucoup de plaisir à parcourir le livre de Samantha Bailly, il éprouve une impression étrange en le refermant : ce mélange de nostalgie et de contentement, la satisfaction d’avoir exploré un univers et des personnages attachants et le regret de devoir les quitter, que ce soit fini.


Et quand finalement le livre retrouve sa place sur l’étagère, l’évidente conclusion apparaît : Oraisons est la première grande réussite d’une écrivaine née.

Thierry_Tohier
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le 10 déc. 2016

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