Papa
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Papa

livre de Régis Jauffret ()

ATTENTION ! Ne pas se tromper de livre…
L’écrivain voit son père arrêté par la Gestapo devant la maison de son enfance, en 1943 : 7 secondes d’un film diffusé à la télévision, "La Police de Vichy". Or son père, mort en 1987, n’a jamais évoqué ce moment. Ni personne dans la famille…


J’ai lu le commentaire d’une lectrice particulièrement déçue par cette lecture, car elle espérait assister à une enquête minutieuse aux mille péripéties dévoilant une incroyable histoire menant à la découverte d'un secret de famille extraordinaire… Eh ben non ! C’est le « roman » d’un fils qui tente de faire renaître son père…
Parti du principe d’« être le temps d’un livre uniquement le descendant de son père », Régis Jauffret renoue et élucide une filiation puisque « seul le roman a le pouvoir de modifier ce qui a existé ». « Descendant de son père », il est aussi celui qui, romancier, invente Papa, celui qu’il porte en lui : « ces sept secondes ont réveillé l’enfant tapi dans les couches profondes de mon être, me donnant une inextinguible soif de père. »


Régis Jauffret est un écrivain français né à Marseille en 1955. Il met en scène, dans des romans parfois inspirés de faits-divers, et dans des textes courts (microfictions), des personnages marqués par la folie et la cruauté, la souffrance, l’humiliation, les désirs refoulés. Il est l’auteur d’une vingtaine de romans et d’une dizaine de microfictions. Il a reçu le Prix Femina en 2005 pour « Asile de fous » et le Goncourt de la nouvelle en 2018 pour « Microfictions 2018 ».


Sur l’image de 1943 l’écrivain reconnaît l’immeuble marseillais de son enfance, un lieu saturé de souvenirs, sa mère y vivait encore deux ans plus tôt. Rue Marius-Jauffret : plaque de rue, patronyme de l’écrivain et nom de son fils, Marius Jauffret qui porte « le prénom de son arrière-arrière-arrière-grand-père Marius Jauffret ». La scène filmée énonce un autre récit, inédit : deux gestapistes sortent de l’immeuble poussant un homme menotté, l’écrivain reconnaît son père mais ne connaît pas l’histoire. Jamais son père n’en a parlé, « dans la famille personne n’a jamais fait mention de cette arrestation », tout est soumis au doute : cet homme est-il bien son père ? Cette séquence est-elle une reconstitution ? Qu’était son père, résistant ou collabo, et, s’il a été arrêté, a-t-il dénoncé des camarades ? Que cache ce silence, des années durant ?
L’écrivain se voit mis devant la nécessité de comprendre qui était vraiment ce père qu’il n’admirait pas, enfermé dans sa surdité, qu’il ne souhaitait pas « rêver », cet homme enfermé dans une « cahute d’indifférence qu’il transportait comme l’escargot sa coquille […] Son moi désormais atrophié, ego racorni d’égoïste, saint sourd, martyre bipolaire, grossier animal réduit à respirer son haleine, confiné dans sa carapace. »
Toutes les tentatives d’enquêtes se muent en échecs. Puisqu’une enquête archiviste se dérobe, il se tourne vers ses propres documents intérieurs. L’enquête objective se transforme en quête intime, Régis tente de se souvenir, il rassemble les fragments éclatés de sa « mémoire en pagaille ». Il raconte l’histoire de cet homme qui semblait pourtant avoir « à peine existé » : « Il faut qu’en définitive je puisse te recréer, faire d’un géniteur un papa. »
Qui est ce père, présent mais absent, connu mais inconnu ? « En réalité je n’avais pas eu de père, presque pas. J’avais dû me contenter dans mon enfance d’un petit bout de papa comme un gosse à qui on jetterait le huitième d’un carré de chocolat pour accompagner le pain de son goûter. »


L’écriture est tour à tour drôle, violente, attendrissante, parfois choquante. On se perd entre réalité et fiction « Il faut toujours se méfier des romanciers. Quand le réel leur déplait ils le remplacent par une fiction […] Que serait le passé s’il était un verdict sans appel, si on ne pouvait le récrire comme un conte cruel bâclé par un saligaud et en faire une féerie. »


« Écoute ces paroles que je ne t’ai encore jamais dites.
- Je t’aime, papa. Je t’aime.
»

Philou33
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le 13 févr. 2020

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