Please Kill Me est probablement le meilleur livre sur le rock qui existe. Je n'en connais pas de meilleur. On pourrait d'ailleurs classer les ouvrages du genre en 3 catégories : Les écrits des journalistes, les autobiographies de rock stars et enfin les compilations d'interviews. Il existe bien sûr de nombreuses plumes talentueuses qui ont retourné le sujet dans tous les sens avec ferveur, talent ou un recul très appréciable. Mais c'est ce dernier exercice, celui de la confrontation d'interviews qui a de loin ma préférence.


Les rock critics comme Nick Kent (Apathy for the devil, The Dark Stuff), Lester Bangs (Psychotic reactions) ou Charles Shaar Murray ont consacré leur vie et leur santé au rock. Quitte à le placer, lui et ses divinités au-dessus du commun des mortels. La sacralisation d'Iggy Pop, de Jim Morrisson ou de Janis Joplin est fréquente dans leurs écrits, et cela est bien normal puisqu'ils visent un public de fans, dont il faut flatter le goût. Et c'est un écueil que très peu de journalistes ayant papillonné quotidiennement auprès de leurs idoles parviennent à éviter. Si les Stones sont des dieux, le biographe est donc leur prophète. Il s'agit donc de se montrer à leur hauteur et d'exposer ses talents par la même occasion (ah ce complexe de l'écrivain raté chez le journaliste rock, c'est pas avec l'emploi abusif d'expressions comme "premier album séminal", "dandy déglingué" qu'ils vont faire illusion auprès de qui que ce soit).


Et si les écrits de ces journalistes ambitionnent d'être aussi talentueux que leur sujet, on ne peut s'empêcher de percevoir un ennoblissement grossier du sujet, une glamorisation excessive de personnages souvent mesquins et risibles. Et cette face peu reluisante est souvent occultée par des gens qu'ils ont côtoyés et avec lesquels une belle complicité est née. Une relation qu'il faut donc cultiver ou préserver.


Le problème des autobiographies est tout autre. Il en sort parfois d'excellentes (I'am bored d'Iggy Pop, Mort aux Ramones de Dee Ramones, X-Ray de Ray Davies etc...), mais elles se montrent rarement honnêtes à 100% et les mensonges par omissions sont légions. Qui a vraiment envie de faire son examen de conscience X années après les faits ? Qui a envie de déballer les petites vacheries sans importance qui ne nous définissent d'ailleurs pas forcément ?


C'est bien avec les livres du type Please Kill Me ou de l'excellent Manchester music city 1976-96 de John Robb, qu'on nous offre le panorama le plus complet, drôle et impitoyable d'une scène, d'un courant musical et d'une nuée de personnages hallucinants.


Punks à temps plein


Please Kill Me, est donc une superposition de témoignages directs de la scène punk rock des années 70. Chaque personnage ayant contribué à l’émergence de cette contre culture issue des bas-fonds, et qui a désormais les honneurs de rétrospectives dans des endroits huppés comme la fondation Cartier, est à l'honneur.


Loin de la sacralisation habituelle de gens comme Patti Smith - présentée depuis 40 ans comme la grande poétesse humaniste New-Yorkaise férue de Baudelaire - dont les témoignages sont particulièrement gratinés (égocentrique, manipulatrice et arriviste au dernier degré, bref une vraie verrue). Les anecdotes sur les mesquineries de Lou reed, Richard Hell, Tom Verlaine, Nico, des types du MC5, Malcolm McLaren, Johnny Thunders, Johnny Ramones ou de la faune de la Factory Warholienne sont pléthoriques.


Et ces portraits peu reluisants collent enfin avec l'image qu'on a de ces artistes déviants, perfides, extraordinaires, avides de liberté et 90% du temps en proies à de lourdes addictions. Loin donc de la sanctification du sujet, car les témoignages des producteurs, roadies, amis, starfuckeuses (ah cette prédatrice de chanteurs à tête de belette qu'est Bebe Buelle...), producteurs, musiciens et des stars elles-mêmes sont de première main.


Le recul qu'on attend des autobiographies est constant ici, et cela assure un éclat de rire par page. Encore faut-il ne pas être allergique à ces confessions qui peuvent évoquer une forme de commérage glauque proposés par un Voici spécial undergound. Pour les lecteurs qui veulent connaître l'origine du titre de telle chanson ou qui ne veulent pas que l'on malmène leur idole, on conseillera donc les ouvrages d'Yves Bigot, ou les nombrilistes écrits de François Gorin, chez qui les vaches sacrées sont bien gardées.


Iggy, le fil conducteur.


Dans cette galerie de personnages tous plus fous les uns que les autres, il y a une constante, un veineux rocher qui traverse les chapitres et enjambe les cadavres des camarades avec une agilité sans pareille, je veux bien sûr parler du mythique fondateur des Stooges, dont les frasques hallucinantes sont corroborées par des nombreux témoins, et confirment une forme d'immortalité et de résilience hors du commun.


Iggy a tout fait, il a baisé tout le monde, il a ingéré toutes les substances possible, épuisant quotidiennement toutes des formes d'expériences farfelues ou terrifiantes, possibles et imaginables qui tendent les bras à nos amis les musiciens. Peu de gens auraient pu survivre à ne serait-ce qu'une semaine de vie d'Iggy Pop dans les années 70. Et c'est paradoxalement le type le plus sympa de la bande. Peu de vacheries à lui mettre sur le dos, à l'exception de broutilles qui forment les péripéties de la vie de junky, et expliquent son manque tenue certains soirs.


Please Kill Me propose une convergence de vues assez unique. Les rocks stars ne sont donc pas des figures christiques, qui souffrent, créaient et vivent des vies tourmentées, pour notre bon divertissement, comme cela a pu être expliqué quelque fois par des plumitifs un peu trop lyriques. Ce sont des gens comme les autres, plus égocentriques et névrosés que la moyenne, capables à la fois des pires crasses possibles et de poignées de minutes de grâce éternelle sur vinyles, CD et cassettes (aussi parfois).

Negreanu
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le 29 oct. 2019

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