Point Cardinal pourrait être l'histoire d'un père de famille qui pète un câble. A une autre époque, cela aurait donné l'histoire d'un homme qui sort une carabine et dézingue le reste du monde. Dans ce petit livre, c'est celle d'un homme qui s'en prend à lui-même. Laurent, la quarantaine, est vraiment monsieur tout le monde. Marié, 2 enfants, banal salarié, il vit une vie tranquille, d'un bonheur insipide, dans un petit pavillon anodin... jusqu'au moment où il décide enfin d'assumer ce qu'il porte en lui, caché, depuis toujours : être et devenir femme. Point Cardinal est l'histoire de cette bascule, du moment où ce qui s'impose à soi s'impose aux autres, envers et contre tout.


Léonor de Récondo parvient à imposer une petite musique, faite de phrase simples, dépouillées, descriptives et assez froides, qui accrochent le lecteur parce sous leur grande douceur, on sent une tension rentrée à l'image du personnage principal, une énorme solitude et une grande violence intérieure. Les frustrations semblent enfermées derrière l'exaltation de se révéler aux autres. Léonor de Récondo ne fait que décrire une réalité qui s'impose à tous. Le problème est que l'auteure peine à nous convaincre de l'existence de cette femme à l'intérieur de cet homme, qui ne s'exprime hélas que par un délire de porter des culottes en soies. Elle évite pourtant l'insipide en donnant une grande place au délitement familial. Plus que le genre de Laurent (qui peine à nous intéresser), c'est la brusque expression de cette explosion qui est fascinante. Point Cardinal semble le pendant masculin de la Condition Pavillonnaire de Sophie Divry. Peut-on s'extraire de lent étouffement du quotidien ? Comment, dans la grande banalité de son existence, le tranquille et invisible père de famille, d'un coup, pour ne pas mourrir d'ennui, s'impose un revirement apocalyptique.


On aurait aimé bien sûr arrivé à être plus convaincu par la transformation de genre du personnage principal qui reste vraiment superficielle. A défaut, on sera bien plus convaincu par cette tentative désespérée de s'extraire de la vie qui "presse, façonne, bouscule et tue". A s'extraire de cette laideur qui ressemble à la vie, à tenter de bousculer sa pesanteur pour ne pas mourrir dessous ce que nous nous imposons de faire. Plus que la transformation de Laurent en femme, c'est sa pulsion à foutre en l'air son existence pour lui donner du sens qui est passionnante. A détruire son un confort devenu absolument insoutenable, quelque soit les conséquences. "C'est laid, ça ressemble à ma vie". La force du livre est de parvenir à mettre en abîme notre vacuité et à nous laisser croire qu'une pulsion peut toujours la renverser. Et pour exister, finalement, Laurent semble avoir besoin d'un excès absolu et radical, seul à même de laminer l'inexistence.

hubertguillaud
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le 23 sept. 2017

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