Pour Napoléon
7.5
Pour Napoléon

livre de Thierry Lentz (2021)

"Pour Napoléon" est un essai du coeur de la part du plus grand spécialiste de l'histoire dite "napoléonienne" depuis J. TULARD et lequel, à l'approche du bicentenaire de la mort de Napoléon, dénonce ici la censure progressive qui envahit l'espace culturel français au nom d'une réécriture caricaturale, anachronique et au final erronée pour ne pas dire idiote de l'Histoire avec un grand H. Ainsi T. LENTZ reprend un à un les principaux "sujets qui fâchent" pour les replacer dans leur contexte et démonter progressivement -mais dans une forme accessible proche du "débat de comptoir" qui n'a rien de péjoratif car au moins il y a débat- les arguments idéologiques, moralisateurs, intransigeants et complètement anachroniques des franges politiques, syndicales et culturelles certes minoritaires mais qui occupent une place majoritaire dans l'espace public/médiatique avec un discours agressif bien que peu argumenté (après tout s'ils lisaient et s'instruisaient, ils pourraient se rendre compte qu'ils ne racontent que des conneries et ça serait donc contre-productif par rapport aux objectifs idéologiques visés).
L'auteur rappelle donc tout ce que notre société actuelle et plus globalement une partie du monde doit à Napoléon et à quel point il serait contre-productif de ne pas profiter de cette année 2021 pour étudier et débattre de l'histoire comme du leg de celui qui, en plus d'être peut-être le plus grand chef de guerre de l'Histoire, est aussi sans doute le plus grand homme d'Etat (au moins en termes d'influence pérenne sur la société) de l'histoire de France. Il le dit sans pour autant l'idolâtrer ou défendre chacune de ses décisions: l'esclavage, les guerres, la "dictature", tout y passe et franchement c'est tout bonnement édifiant.

suite à une remarque en commentaire j'édite ma critique pour la compléter d'un ou deux exemples particulièrement évoqués, notamment celui de l'esclavage voire du racisme, et en quelques mots la rengaine de la dictature au sens contemporain du terme, terme du coup péjoratif que beaucoup associent de près ou de loin aux régimes totalitaires.

Concernant l’esclavage il est vrai que Napoléon l’a rétabli mais cela s’est fait en 2 temps. En 1802 il l’a d’abord maintenu dans les colonies où il n’avait pas été aboli par la loi de 1794 (si l’Europe n’avait pas le monopole de l’esclavage, il convient de noter que la France en a inventé l’abolition), à savoir les colonies qui étaient à ce moment-là en la possession des Anglais (moi qui croyait que les coalisés étaient les gentils…). Ensuite Napoléon donna ses généraux envoyés reprendre en main la guadeloupe, Saint-Domingue et la Guyane l’autorisation écrite et secrète de rétablir l’esclavage. C’est un fait que personne ne nie, cependant ces directives furent peu ou pas appliquées, la France perdant ses colonies au profit des Anglais entre 1803 et 1810 sans que ces derniers ne prennent la peine d’abolir l’esclavage soit-dit en passant. Ce qu’il faut comprendre c’est que contrairement à ce qui est souvent dit, les motivation de Bonaparte étaient économiques et géopolitiques et absolument pas racistes. Lorsqu’il accède au pouvoir, Bonaparte assure aux habitants de Saint-Domingue dans une proclamation datée du 25/12/1799 qu’il n’a absolument pas l’intention de remettre en causse l’abolition, et ce malgré les pressions qu’il subit de la part de ce qu’on appellerait aujourd’hui les « lobbys ». Son avis changea après la sécession de Saint-Domingue menée par le général Louverture, général de couleur (à l’instar de Dumas par exemple, quelle autre armée comptait moult gens de couleurs dans ses rangs y compris aux grades les plus élevés?) qui avait pourtant promis de maintenir l’île dans le giron de la République. Puisqu’on allait reprendre de vive force les îles à sucre, Bonaparte se dit qu’il était aussi bien d’y rétablir les conditions de sa future renaissance économique (sachant que la question de l’esclvage aux Antilles était loin de passionner les foules)… Je ne dis pas que c’est bien, évidemment que ça ne l’est pas, j’explique simplement le raisonnement en le recontextualisant (ce que ne font jamais les idéologues). Il est à noter que cet esclavage ne sera jamais rétabli en métropole. Les opérations visant à reprendre les colonies furent sanglantes (environ 100 000 morts, estimation haute, dont 70 % de noirs) mais il convient de rappeler que le seul massacre d’êtres humains selon le critère de la couleur de peau fut celui des blancs ordonné par Dessalines, premier chef d’état haïtien, lequel vit l’extermination de tous les blancs, femmes et enfants inclus, à l’exception des médecins.

Cette tâche que fut le rétablissement de l’esclavage aux Antilles, Napoléon fut le premier à la reconnaître, regrettant à Saint-Hélène d’avoir cédé aux « criailleries des colons » et à « l’opinion du conseil d’État et de ministres », estimant que l’affaire de Saint6Domingue était « une de ses plus grandes folies » et qu’il avait agi « contre son propre jugement ». D ‘ailleurs lors des Cent Jours, lorsque Napoléon revient au pouvoir, il abolit l’eclavage et la traite dès le mois de mars 1815. Cette dernière sera rétabli après le congrès de Vienne consacrant la victoire des coalisés, ces derniers n’ayant a priori pas les mêmes cas de conscience que l’Empereur des Français sur la question.

Concernant le thème de la dictature je dirai juste comme ça à la volée que, si Napoléon voyait le dictateur romain antique comme un modèle et pourrait à ce titre être qualifié de "dictateur", il n'est en revanche pas le "dictateur" au sens contemporain du terme et donc péjoratif que les assos et politiciens d’extrême gauche voire les royalistes (qui pour certains abhorrent Napoléon car il a sonné le glas d’un retour à la monarchie absolue) veulent nous dépeindre. Ainsi il ne compte que deux exécutions purement politiques à son actif, celle du Duc D’Enghien et celle d’un libraire de Nuremberg. On est loin des massacres des sans-culottes de 1789 à 1792, du guillotinage à outrance pratiqué par les terroristes ou des marais de sang laissés par les colonnes infernales. Ainsi les prisons d’État accueillirent 2500 prisonniers sous Napoléon, dont la plupart dits de « droit commun », si l’on compare cela aux 500 000 arrestations et aux 20 000 exécutions pratiquées sous la Révolution, difficile de présenter Napoléon comme le fossoyeur de la liberté, le fait est qu’il a répondu à l’aspiration des Français à un rétablissement de l’ordre tout en conservant une grande partie des acquis de la Révolution. Je vais balayer rapidement les affabulations absurdes désignant le régime napoléonien comme une dictature totalitaire, jamais l’appareil napoléonien n’eut d’emprise totale sur l’État, la société française au nom d’une idéologie devenant la seule norme au prix du contrôl de toute les organisations, de la suppression des libertés, de la mainmise sur la justice et l’information, de la terreur policière et enfin d’une forme de militarisation de la société (l’armée est indissociable de Napoléon, mais il ne l’a pas associée à son pouvoir politique en France). Lorsqu’Hitler a été englouti dans les ruines de son Reich, que Mussolini n’a pas refondé son empire romain de pacotille, que Lénine et Staline n’ont jamais rempli le programme initial de leur révolution mais ont en revanche massacré leur peuple, Napoléon lui a fondé, et durablement.


La conclusion de tout cela est que l'histoire et le débat font partie des ciments d'une nation et que les dérives globalistes, mémorielles et culpabilisatrices entretenues par des minorités particulièrement actives -et qui jouissent de la complicité d'un monde médiatique fainéant car cherchant avant tout de l'audimat comme de la lâcheté politique de nombreux dirigeants qui craignent la moindre polémique quitte à ne pas dire ce qu'ils pensent réellement- font qu'aujourd'hui la France est un pays de plus en plus clivé, qui s'américanise dans sa classification sociétale, et où la radicalisation politique, religieuse, comme l'individualisme progressent à grand pas car le patriotisme et l'intérêt national ont été progressivement assimilé à des "gros mots" et méthodiquement battus en brèche. Aujourd'hui on en arrive au point où des philosophes et des historiens se voient attenter des procès car ils livrent un regard objectif et dépassionné sur des sujets dits sensibles ou ont certaines de leurs conférences qui sont annulées par des établissements pour éviter tout risque de polémique, d'autres sont directement menacés ou insultés publiquement...
Dans ce contexte vous aurez compris que ce "Pour Napoléon" dépasse largement la seule cause de l'empereur des Français. C'est certes un ouvrage original et inhabituel de la part d'un historien car de par sa forme il dénote quelque peu dans le paysage historiographique français (on est loin des ouvrages classiques à la méthodologie universitaire), mais il illustre la situation alarmante dans laquelle l'enseignement et le débat se trouvent aujourd'hui en France.

LoGgn
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le 10 janv. 2023

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