1948 ou 2025, même discours // Lecture en l'an de grâce

Sorte d’étoile filante littéraire, Stig Dagerman fut ce suédois né en 1923 et suicidé en 1954. 31 ans d’existence après calcul et un succès journalistique à faire pâlir Pascal Praud.

Plus connu pour son passage en Allemagne que celui en France, c’est pourtant sur ce dernier point qu’on s’attardera ici, via ses quelques chroniques regroupées et sorties chez Actes Sud en 1995 (mais rédigées entre 1947 et 1948), sous le nom Printemps Français.

Il y a un effet de miroir assez sidérant qui se profile au fil des lignes. J’ai lu cette année 1948 comme si je la lisais en 2025.

Stig Dagerman, avec sarcasme et recule que lui conféré son statut d’étranger (il est en voyage en France), pose un oeil critique sur une France d’après-guerre.

Il décrit la misère des mansardes mal isolées, où les murs ruissèlent d’humidité ; la crasse dans toutes les pièces ; le manque d’hygiène et la pauvreté surtout. Passée la victoire et le retour des soldats, le gouvernement s’est finalement fait une part belle à l’inertie. Quelques plaques de commémorations pour les résistants et soldats morts au combat mettent sous le tapis les problèmes des citoyens.

Parce que problèmes, il y a. Et ce sont toujours les mêmes qu’à présent : familles regroupées dans des appartements insalubres, étudiants sans le sou, chômage conséquent et inflation.

Parce qu’il faut surtout se rappeler qu’en 1947 et en 1948 deux grandes grèves eurent lieues, à cause du stress alimentaire, sans compter la pression sur les mineurs (diminution de leurs droits, statut, etc.) et de l’inflation pouvant atteindre 60% en 1947.

Même si en 2025 nous n’atteignons pas ces stades, on ne peut s’empêcher de comparer les deux situations. La tension monte, la CGT est obligée de créer un Comité national de grève.

Plusieurs manifestation sont promulguées. Elles sont violentes, il y a de nombreux morts et des blessés, des deux côtés. Nous sommes loin de quelques poubelles brûlées qui font les choux gras des nos médias oligarchiques. Ici, des armes issues de la guerre sont utilisées et en octobre 1948, Jules Moch, le ministre de l’intérieur, autorise les CRS à tirer sur les grévistes, mais pousse aussi la police à utiliser les gaz lacrymogènes et les canons à eau, dont le recours était encore timide… Contrairement à aujourd’hui.

Grève violente donc, mais soutenue par les ouvriers de tout le pays et d’autres (de l’Est entre autre).

Parce que rappelons le, une grève prend de l’ampleur si elle déborde sur d’autres que ses principaux militants.

Est-ce que 1948 était plus propice à la grève, par le désespoir de la population ? Peut-être.

Stig Dagerman voit en tout cas une population parisienne à cran, boiteuse et humiliée, qui digère difficilement le traitement des siens en sortie de guerre, la misère globale et cette promiscuité étrange entre une élite privilégiée et un monde prolétaire à ras du sol.

La tristesse des mouvements de 47 et 48 furent qu’ils se sont achevés à l’amiable et sous le feu d’une répression trop intense (menant à des licenciements en plus de morts).

À ceux qui ne demandaient qu’un salaire et une vie décente, le gouvernement a proposé une avilissement plus certains et la diminution des droits.

Ces grèves ont disparu de la mémoire collective récente. Les luttes des travailleurs trouvent rarement leur place dans le roman national, ce qui, en quelque sorte anesthésie notre colère collective. On lutte, on tombe, la pression diminue, puis remonte. On lutte, on obtient quelque chose, on oublie, on se fait écraser. Puis on lutte…

En ce moment, une nouvelle lutte grimpe. Dès le 10 septembre 2025 les médias ont relayé l’échec de cette contestation. Elle prend naissance dans le même terreau de celle de 1947 et sera réprimée de la même manière (mais moins violemment qu’au siècle dernier, n’en déplaise à Bruno Retailleau).

Il faudra se faire force et garder courage. Ne pas oublier les mouvements précédents et ceux qui viendront.

Et espérer que les écrivains n’auront pas tout le temps à décrire les français comme des miséreux dans des logements humides.

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le 17 sept. 2025

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