C'est l'été. Autour d'une table campagnarde, vous déjeunez d'un lièvre farci, les pieds sur l'herbe et la tête au soleil. Le soleil ? Il vous chauffe la nuque, avec parfois comme une morsure, "comme font les gros chats pour donner envie d'amour aux chattes" (Que ma joie demeure). Voilà, vous êtes chez Giono. Giono l'inimitable.


Chacun de ses livres, surtout ceux d'avant 1940, est un récit des corps, un bain de sensations ouvrant à la compréhension du monde. Sensations riches, immédiates "L'air est comme un sirop d'aromates, tout épaissi d'odeurs et chaud au fond" (Colline) et pourtant clairement identifiées, parce que simples et primitives, comme l'odeur du gibier dans la truffe d'un chien.
Les personnages de Giono ne pourraient exister, littéralement, s'ils ne pouvaient mâcher des tiges de menthe poivrée ou boire l'eau des fontaines à même la margelle. Le corps entier parle et recoit, dans une correspondance de tous les sens.


Pourtant cet univers n'est pas bucolique. Parce que la vie et rude, que l'hiver est "un fruit dur et acide" (Regain), que "certaines sensations font joie et d'autres font deuil" (Que ma Joie demeure), qu'il y a dans tout ça trop de nerfs et trop de sang qui bat le tambour, même s'il y a des joies de chien à sentir le chaud dans les reins qu'on étire.
C'est que nous appartenons au monde vivant, animal et végétal. L'homme et la femme sont des éclats du monde qui les porte.


Ici commence, au-delà d'un certain art de vivre, de jouir, de souffrir, une vision particulière de l'univers. Car tous sens éveillés, l'être humain s'engage dans un véritable corps à corps avec les éléments. Et si nous sommes à l'image du monde, le monde est semblable à nous. Voici donc "un grand rire d'éclair qui montre ses dents en silence" (Un de Baumugnes).. Dans Regain, le vent large d'épaules bouscule tout le pays et ce vent costaud "fait l'homme" à Arsule et la met dans tous ses états en glissant sa main de vent jusqu'à son ventre.


Fantaisie de fabuliste ? Giono est plutôt comme ces enfants qui voient des éléphants dans le dessin des nuages ou comme les anciens Grecs qui donnaient corps et gestes humains aux divinités de l'Olympe. Il s'agit d'expliquer l'inexplicable, d'apprivoiser le mystère, de débusquer la vérité cachée derrière, ou dans, nos sensations. "Tu crois que c'est vide, l'air ? Je te croyais pas si couillon !" (Colline). D'outils simples, nos sens deviennent ainsi instruments de connaissance et donc de liberté.


Et nos sens, Giono les redonne à la vie. Car "Quiconque a senti un jour de printemps sur les plateaux sauvages l'odeur amoureuse des fleurs de châtaignes comprendra combien ça compte de fleurir souvent" (Que ma joie demeure).

coupigny
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le 27 juin 2015

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