Réfléchir, se séparer, déprimer (dans n'importe quel ordre)

Recueil de nouvelles sur les Séparations (affectives le plus souvent), une douzaine de portraits d'hommes dressés dans leur plus grande détresse.

Première nouvelle conventionnelle, séparation de couple, changement de sexualité.

A partir de "Mal de mère" (seconde nouvelle), la solitude des personnages devient plus prégnante. Et c'est une porte, un couloir noir qui semble sans fin, dans lequel Diaz va nous balancer (nous pauvre lecteur, on a rien demandé) comme dans un tunnel sombre jusqu'au bout du recueil.

Les personnages ont cette tendance à s'inventer des conversations, ce qui est tout à fait inattendu, à monologuer leur dialogues des heures durant, ce qui les rend inquiétants. "Voilà ce que je lui aurais dit, je lui aurais dit ça et ça..." etc. Ils ont tendance à s'inventer des futurs idéaux et à ressasser leurs erreurs passés, revenir sans relâche sur des scènes précises, mettre en scène leurs interlocuteurs dans leur imaginaire comme pour contrôler enfin un peu. Ils sont dans une sorte de déni romantique. Ils fantasment tout. Seuls. C'est dur à lire. Dans le sens : ça fiche un sacré coup de massue. On se dit "alors ces gens en sont-ils arrivés si loin qu'ils leur faut fermer les yeux sciemment et se laisser emporter dans le tourbillon (sans retour du déni ?) (Mal de Mère représente le cas pathologique, celui de la douleur qui fait perdre les pédales, à jamais semble-t-il, quand La Photo de Louise représente la misère affective ordinaire).

Et il y a même ces personnages si taiseux (je ne me rappelle plus la nouvelle) qui marchent ensemble, qui randonnent en silence et au lieu de se parler, se remémorent le passé, et projettent leur compagnon de marche dans une conversation qui ne se tient que dans leur esprit. C'est flippant, et pourtant, je le comprends car j'aime randonner, marcher, marcher sans se poser des questions, finalement entrer dans une sorte d'état de méditation, vaporeux, un peu là - on regarde où on met les pieds -, un peu ailleurs - l'esprit flotte au-dessus, retour sur soi, etc. Et pourtant à le lire, ça m'a semblé violent, ce refus du rapport à l'autre.


Là, où je décroche un peu en revanche, ce sont dans les monologues de certains des personnages qui ne semblent vouloir que "bavarder", la répétition ad nauseam des mêmes procédés de reformulation, les synonymes et les métaphores qui s'enchaînent sans faire décoller les phrases qui serpentent comme des couleuvres paresseuses et lestées de mots inutiles qui les ralentissent et qui reformulent à n'en plus finir des idées clairement évoquées - et comprises par le lecteur - deux phrases, deux lignes plus haut - pour le simple plaisir d'exercer, semble-t-il le sens du bon mot, mais sans se résoudre à ne garder que l'essentiel. Voilà pour mon ressenti, dans lequel il ne faut voir aucune sentence, un simple constat que peut-être ce trait excite mon impatience. Procédé utilisé peut-être un peu trop, comme si Diaz n'avait pas le courage de trancher. De compresser ses textes pour en extraire le nectar.

Je pense à cette nouvelle du meurtrier qui palabre à n'en plus finir, de manière très théâtrale et presque caricaturale, son couplet un peu soporifique sur la beauté du monde, son côté rétrograde, ses déclamations de vers et soudain, alors que la nouvelle commence à me tomber des mains, les phrases se resserrent, la nouvelle se concentre dans les 5, 6 derniers paragraphes, et après le masque du ridicule, il ne reste que l'homme nu face à son destin, l'homme réduit à sa condition de meurtrier, l'homme presque lucide dans un instant charnière et une beauté froide, profonde, qui remonte de très bas jusque dans la gorge étreint le lecteur (ou au moins moi, elle m'a saisi) et on en oublie tout ce début un peu verbeux. Comme si il était temps d'arrêter de gesticuler et de fixer enfin le futur et la vie comme elle nous fixe (et c'est peut-être, de manière tout à fait paradoxale, le personnage le plus courageux et le plus lucide de ce recueil de nouvelles... un meurtrier, lui qui semblait le plus fou, le plus insupportable, au premier abord).

Je suis entré et parfois sorti un peu vite des nouvelles les plus réflexives (Les Haute-Loire #I, II, III). J'y ai pioché des pensées que je pouvais piocher, au détour d'une phrase, au détour des songes du personnage, des songes très souterrains, les personnages évoluant en huis-clos (heureusement qu'un plombier/réparateur passe de temps à autres !).

Un autre trait sur lequel Diaz joue beaucoup dans ce recueil et qui fait flotter une atmosphère d'indécision, qui suspend les pensées, les hâchent, et les mêlent, ce sont les points de suspension (c'est d'ailleurs presqu'un peu trop forcé sur la première nouvelle).

Pesant. Un recueil vraiment pesant, comme la vie passé un certain âge.
ArbitreDuMepris
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le 7 oct. 2011

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