On a ici un travail de qualité sur Shakespeare destiné aux étudiants, mais qu'on peut lire en dehors du cadre d'études universitaires. Il est très abordable, sans pour autant verser dans une démagogie de mauvais aloi. Bien au contraire, Michèle Vignaux s'y ingénie à expliciter des notions, des concepts, une époque qui ne vont pas de soi pour toux ceux (c'est-à-dire la très grande majorité de l'humanité) qui ne sont pas des spécialistes des XVIème et XVIIème siècles, non plus que du théâtre élisabéthain.


C'est sans nul doute là le point fort du livre. Si tous les ouvrages du genre se font un devoir de clarifier le contexte dans lequel a évolué Shakespeare - sans quoi on peut difficilement comprendre son œuvre -, Michèle Vignaux va plus loin et développe ce contexte bien plus qu'on a l'habitude de le faire pour présenter Shakespeare à des étudiants. Elle aborde donc longuement l'ontologie propre à l'époque : une vision du monde basée sur un système analogique, et donc très marqué par les rapports entre macrocosme et microcosme. Mais elle s'attaque aussi, ce qui plus original, aux contradictions de cette même époque et aux découvertes qui mettaient les croyances d'alors en difficulté. C'est à la fois clair et intéressant, et, par-dessous tout, ce sont des points qui donnent des clés essentielles pour comprendre le théâtre élisabéthain en général et celui de Shakespeare en particulier. Bien entendu, on n'échappera pas non plus à la description de ce qu'était un édifice théâtral à l'époque, ni aux conditions dans lesquelles les pièces étaient composées, publiées et, surtout, jouées : c'est là un passage obligé et l'auteure s'en acquitte très bien. Enfin, elle s'étend également sur la construction du canon shakespearien, sur l'évolution de la critique au fil des siècles et sur celle de la mise en scène. Autre point fort : tous ces développements sur le contexte du théâtre shakespearien sont appuyés par de nombreux exemples et citations.


Cependant, vu qu'il s'agit d'un ouvrage répondant à un format précis, l'auteure ne peut pas attaquer de même sur tous les fronts. Du coup, développer le contexte suppose un revers de la médaille : ici, c'est l'analyse du texte. Les pièces sont présentées suivant les catégories habituelles : Histoires (ou pièces historiques), Tragédies, Comédies. Est-ce que ce choix s'imposait ? Oui, puisque c'est en accord avec le schéma général de l'ouvrage et que Michèle Vignaux en profite pour aborder les sources historiques de Shakespeare, ainsi que l'histoire de la tragédie (passage un peu long, il faut bien l'avouer) et de la comédie, ainsi que leur évolution en territoire anglais. Là encore, c'est le contexte qui prévaut. Par conséquent, le texte, les thématiques des pièces, leur style... tout ça est plutôt survolé. Si l'angle choisi pour parler de Shakespeare fonctionne tout de même assez bien avec les pièces historiques, c'est qu'elles forment un grand cycle qui peut s'étudier comme un seul corps... mais aussi que Michèle Vignaux s'est fait une spécialité de la seconde tétralogie de Shakespeare (Richard II, les deux Henry IV et Henry V). Ça marche tout de même moins bien avec les tragédies et les comédies, dont l'analyse reste trop superficielle.
Autre défaut, moins dommageable : puisque Michèle Vignaux s'est attachée au contexte de l’œuvre de Shakespeare, pourquoi ne pas avoir consacré un paragraphe à deux autres dramaturges d'importance et contemporains de Shakespeare : Christopher Marlowe et Ben Jonson? Là encore, j'imagine que le format de l'ouvrage est en cause.


Toujours est-il qu'il s'agit là d'un livre bien fichu, mais dont le sujet est peut-être davantage le théâtre élisabéthain en général que, à proprement parler, le théâtre de Shakespeare... même si l'auteure s'attache à démontrer de temps à autre quelles en sont les spécificités. On notera également que cet ouvrage a été plus conçu pour les anglicistes (nombre de citations courtes ou d'expressions en anglais ne sont pas traduites) que pour les étudiants en littérature comparée, qui devraient être plus familiers de l'histoire du théâtre et trouveront peut-être le chapitre sur la tragédie un peu lourd. Je recommande donc sa lecture en complément d'autres travaux (pour grand public ou plus spécifiquement pour étudiants) sur le sujet, comme, par exemple, le récent Que-sais-je ? de Jean-Michel Déprats.

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