Moeurs, pauvreté, ascension sociale : le Zola américain !

En cette fin de XIXème siècle, Caroline Meeber "monte à la ville", Chicago, où elle compte commencer sa vie pour de bon ! Pourtant, lorsque la réalité d'un destin d'ouvrière, s'esquinter la santé pour une paie de misère, se présente à elle, la jeune femme décide de trouver un autre moyen de partir à la conquête de ce statut et de ce confort qu'elle recherche tant. Elle a 18 ans, plaît aux hommes, et même sa naïveté maladive ne l'empêche pas de se rendre compte de son pouvoir d'attraction : Carrie prendra l'ascenseur social en s'accrochant à des hommes !


Drouet et Hurstwood sont les 2 conquêtes principales et successives de Carrie, chacun profitant de la jeune femme d'une manière différente, et avec des conséquences différentes également : inexistantes pour l'un, et désastreuses pour l'autre. La chute vertigineuse qui s'en suit met en exergue la montée irresistible de Carrie. Ces destins croisés sont surtout liés par le degré de pathos qui les entoure.


Par cette histoire somme toute assez banale (même si choquante pour l'époque), Dreiser fustige l'hyper-matérialisme naissant chez ses contemporains. Il trace un portrait bien peu flatteur de ses personnages, ces derniers faisant des fixettes sur leurs habits, parures, et accessoires et ceux des autres, se comparant à leurs voisins, se désespérant de ne pouvoir avoir plus ou mieux... Il s'attaque également au capitalisme qui a pris l'Amérique d'assaut : sentiment d'impuissance du chercheur d'emploi face aux portes qui se ferment irrémédiablement les unes après les autres, hyper-pauvreté urbaine, centres d'accueil et de distribution de nourriture aux plus démunis... le tout sur fond de grèves des chauffeurs de taxi (déjà!).


Cette misère, ce désespoir sont constamment comparés au lustre des grands hôtels de Chicago ou aux lumières des théâtres de Broadway, donnant une dimension encore plus vivace à son histoire. Dreiser fait du naturalisme forcené qui n'est pas sans rappeler Zola, peut-être en moins "brutal" , plus contrasté. Ce qui ne veut pas dire que c'est beaucoup plus joyeux... La lente agonie de


Hurstwood


, comptant chaque centime, organisant une rotation dans les magasins du quartier pour éviter de devoir payer ses dettes, usant jusqu'à la fibre l'unique costume qu'il lui reste, cette descente aux enfers créé presque un malaise chez le lecteur, pour un personnage qui pourtant ne devrait pas avoir beaucoup de crédit étant données ses actions passées.


Le style est lent et parfois fastidieux, mais le récit possède une réelle puissance. Le souffle de Dreiser est malheureusement discontinu, certains passages étant même contre-productifs pour le flot du roman. A noter : les deux derniers paragraphes tombent comme un gros coup d'assommoir, abandonnant une Carrie finalement désabusée, éternelle insatisfaite, et condamnée à toujours être seule et malheureuse.

VincentCourson
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le 26 mars 2017

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