Soumission est un roman d'Anticipation dystopique. Difficile d'évoquer ce genre sans évoquer 1984 de George Orwell. Malheureusement, les similarités s'arrêtent là. Soumission traite d'abord d'une période de transition dans la vie du héro puis dans la société, là où 1984 traite exclusivement d'une société déjà en place et l'éclaire par le parcours de son personnage.
Orwell a su créer un monde crédible car chaque brique avec laquelle il l'a construit était une brique de vérité, de quelque chose dont il a été témoin ou qui s'est réellement produit. En assemblant brique par brique – ici un morceau de propagande communiste, là un morceau de va-t-en guerre fasciste, un peu de contrôle des foules des deux, etc– il a crée une société improbable mais plausible, qui pourrait fonctionner ou qui en donne l'impression. Houellebecq, par contre, construit sa société dystopique avec une brique de vérité, une brique de mensonge, une brique d'ignorance et une brique d'idées préconçues, ce qui donne une construction bancale qui peine à être crédible.
Autre point d'accroche : quand on écrit de l'Anticipation, ou quoi que ce soit d'ailleurs, il y a des choses à faire et à ne pas faire. L'une de celles qu'il ne faut pas faire et dont Houellebecq est coupable est "l'infodumping" : larguer un bloc d'information dans un dialogue, au point d'être totalement irréaliste. Certes, les dialogues de roman ne sont pas toujours réalistes et n'ont pas besoin de l'être; ils sont souvent... romanesques. Mais ici, il ne s'agit pas de dialogues trop romanesques ou théâtraux, simplement trop peu crédibles. Oui, on peut faire du théâtral/romanesque crédible en écrivant bien et en s'assurant, de la part du lecteur, sa suspension consentie d'incrédulité. C'est à dire qu'idéalement, le lecteur sait que tout est faux mais y croit quand même car ça colle au contexte. Or, les dialogues dans Soumission ne collent absolument pas au contexte – déjà fragile en lui-même – et ressortent comme le nez au milieu de la figure. On passe d'une scène banale de "Je rentre dans un bar" à un dialogue ridicule de "Bonjour, ami de confiance que j'ai rencontré 5 minutes une seule fois dans ma vie, laisse moi t'expliquer ma vie, mon travail aux services secrets et toute la situation politique du pays...". Les dialogues manquent vraiment de subtilité.
Mais le plus gros défaut de ce livre reste son atroce manque de rythme. Il se passe peu de choses et l'on assiste lentement à l'évolution de la vie du personnage – soulignée par des parallèles avec la vie de Joris-Karl Huysmans qui m'ont semblé superflus mais qui plairont à certains – et à l'évolution de la société, qui ne tient d'ailleurs pas debout car tout se passe trop facilement.
Quant à l'idée principale du livre selon laquelle un vide dans nos valeurs occidentales ou dans notre spiritualité se fera forcément combler par la religion, et les religieux se reproduisant plus que les athées ils vont les dépasser en nombre, voilà un gros tas d'inepties.
Je ne suis pas bien féru d'histoire, mais je me rappelle vaguement que durant les deux derniers siècles la pratique religieuse en France n'a fait que diminuer, l'anticléricalisme a atteint des sommets au début du XXe siècle, puis la laïcité s'est imposé comme un idéal de valeurs républicaines. À mon avis, le manque dans lequel se répand la religion, notamment musulmane, est un manque socio-économique plutôt qu'un manque spirituel; sinon comment expliquer que les religions se développent surtout dans les pays ou les classes sociales pauvres ? – ce qui par la suite amène les riches à utiliser la carte de la spiritualité pour contrôler les masses.
Je me permets de citer une autre revue avec laquelle je ne suis d'accord :
« reproche-t-on à Orwell que 1984 ne ressemble pas à son "1984" ? »
Sauf que dans 1984 chaque aspect de la société est possible et est déjà arrivé dans l'histoire Européenne. Le communisme était une idéologie séduisante à l'époque d'Orwell, d'où l'écriture de 1984 et La Ferme des animaux pour dire au monde "Regardez vers quoi l'on se dirige, soyez vigilants !". L'islam d'aujourd'hui n'a pas du tout d'image positive en occident, Houellebecq ne nous prévient là d'aucun danger. Dans Soumission, on parle d'ailleurs de la transition d'une société à l'autre plus que du résultat final, et il faut vraiment être motivé pour y trouver un aspect crédible.
Orwell a aussi eu la bonne idée de ne pas ancrer son récit dans le réel de son époque et de ne pas citer de personnes réelles, justement pour ne pas créer de dissonances qui viendraient entamer la crédibilité du récit. Dans la mesure où Houellebecq ancre son récit à notre époque et tout ce qu'elle contient, il est normal d'en attendre plus de vraisemblance immédiate que dans 1984.
Un dernier mot sur la réputation de l'auteur par rapport à son livre – même si pour moi les deux n'ont aucun rapport et qu'ont ne devrait pas juger l'un sur la base de l'autre – : je trouve sa réputation de pessimiste, sulfureux, grand raciste islamophobe, misogyne et misanthrope, largement surfaite, ou alors ce livre n'est pas représentatif. Rien ne m'a paru "déprimant" – au contraire, j'ai trouvé que les relations sociales du personnage étaient caractéristiques de notre époque, c'est d'ailleurs le seul aspect positif à mes yeux – et le sexe n'occupe finalement que peu de place dans le livre. Quant à l’islamophobie/racisme, je n'en ai pas vu une seule fois. Il faut dire que certains lecteurs ont tendance à pousser la paranoïa "justicière" un peu loin. Je rappelle juste que l'islam et le judaïsme ne sont en rien au-delà de toute critique et ne devraient jamais être considérés comme sujets tabous ou interdits. Il y a bien moins de protestations quand on critique le christianisme, donc soyons un peu plus circonspects.
Bref, il y a des qualités, et les fans de Huysmans apprécieront les références, mais de trop nombreux défauts de conception viennent gâcher l'expérience : le plus gros d'entre eux étant que c'est franchement barbant