Soumission
6.3
Soumission

livre de Michel Houellebecq (2015)

C'est étonnant comment certains livres - voire carrément certains auteurs - cristallisent les opinions.
Ce "Soumission" en fait indéniablement partie. Et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si j'ai enfin décidé de me confronter à du Michel Houellebecq par cet ouvrage.
J'en ai vraiment tout entendu.
Fable cynique pour les uns. Prophétie de malaise pour les autres. Goût vicié mais hypnotisant pour l'outrance pour les troisièmes...
A un moment donné, on a forcément envie de se faire son propre avis...


Premier constat dès les premiers chapitres : l'ouvrage est loin d'être si sulfureux que ça.
C'est juste cru. Cru sur tout. Sans gant.
Une crudité qui surprend sûrement d'autant plus qu'elle est d'une terrible efficacité au regard du style littéraire.
Pas de glose. Un vocabulaire précis. Un vrai sens de l'efficacité.
Ainsi Houellebecq impacte d'autant plus les esprits qu'il ne nous prépare pas vraiment aux sujets qu'il va aborder.
On sent d'ailleurs que le bon Michel a parfaitement conscience de ce qu'il fait et il en joue.
De ce style il en dégage des effets de rupture qui parfois s'avèrent bien drôles.
De l'humour cynique certes, mais de l'humour incisif malgré tout.
Un humour d'autant plus efficace qu'il ne ménage rien ni personne. Surtout pas son personnage principal - François - personnage dans lequel il est difficile de ne pas reconnaître l'auteur.


Je m'étonne d'ailleurs que beaucoup aient retenu de ce livre l'idée qu'il prophétiserait quoi que ce soit sur l'islam car ça me parait assez évident que ce n'est pas ici le sujet, quoi que le titre puisse suggérer.
Le sujet - et c'est manifeste de la première à la dernière page - c'est François et rien d'autre.
Un prof d'université qui a traversé la première moitié de sa vie sans passion et qui se rend compte que la seconde ne sera que déclin et désillusion.
Il se rattache péniblement à des soubresauts de pulsions de vie qu'il peine à entretenir.
Mais rien ne dure vraiment. Tout finit par se ramollir quelque soit la stimulation.
Alors François cherche à se raccrocher inexorablement à celles et ceux qui entretiennent encore l'illusion de ce qu'il n'est pourtant plus.
Des collègues s'extasiant encore sur son travail passé à faire l’exégèse d'un auteur que personne ne connait vraiment.
Une jeune étudiante dont il a fait son amante sans parvenir à comprendre ce que l'un et l'autre se trouvent mutuellement...
François essaye de s'en satisfaire mais n'est jamais vraiment dupe.
Il sait que le pic de son existence n'a jamais été rien d'autre que la crête molle d'une colline qui n'a jamais vraiment su trancher l'horizon.
La vie de François n'est qu'une mollesse qui tend à se ramollir encore ; à l'image de cette triste bite qu'il peine à ériger à nouveau malgré les recours multiples aux escorts et autres sites pornos.
Ne lui reste donc plus que sa cynique lucidité pour ne pas sombrer dans le plus primitif des pathétismes.
Or c'est bien dans cette lucidité cynique que se trouve selon moi tout l'intérêt de cet ouvrage.


Parce que l'air de rien, l'humour dont je parlais tout à l'heure, il repose aussi beaucoup sur ça ; sur les effets de rupture entre la perspicacité intellectuelle et la culture fournie d'un esprit lettré d'un côté et de l'autre les bas-instincts d'un humain désespéramment trivial.


(Quand il commente le porno français de Youporn, il dit d'un simple "Putain je jouis !" qu'il est une déclamation un brin décevante de la part d'un peuple régicide. Ce genre de choc thermique culturel - sur une seule phrase - c'est clairement le type de rhétorique qui fait mouche chez moi, surtout que ça tombe sans crier gare.)


"Soumission" a cet aspect moqueur qui me séduit.
Une moquerie qui me séduit d'autant plus qu'elle est une moquerie de soi.


Car "Soumission" n'est rien de plus rien de moins que ça : c'est un ouvrage nombriliste.
Et quand l'auteur mobilise la figure de l'islam pour la confronter au bon vieux modèle libéral français, il ne fait rien d'autre que transposer son propre déclin à celui de tout un monde.
Une banale projection égotique digne d'un Michel Onfray crépusculaire ; une projection qui dit que puisque sa propre mort est proche, il ne peut qu'en être de même de la civilisation...
...Une civilisation qui ne peut d'ailleurs que tomber pour les mêmes raisons. Après avoir joui en vain sans penser vraiment à l'après, voilà qu'elle se retrouve nue sans rien à transmettre aux générations d'après ; sans rien à avoir à opposer à la générations d'en face...


Je trouve d'ailleurs amusant (et révélateur) que nombre de lecteurs aient pris ce propos sur l'islam au premier degré.
Quand bien même le trait est-il tiré à l'extrême, quand bien même l'enchainement des évènements n'a rien de bien crédible (et ne cherche d'ailleurs pas vraiment à l'être), voilà que certains y voient une prophétie de mauvaise augure, manquant au passage la farce qu'on leur tend pourtant.
Moins que l'essor de l'islam c'est bien du déclin de François dont il est question.
Malgré le fait qu'il ait face à lui la montée d'un islam radical, assumé et clivant - tout l'inverse de ce que François est censé incarner et défendre - François reste passif. Atone.
Lui tout ce qui l'intéresse ce sont les atermoiements de sa bite. A quoi bon défendre une société dans laquelle tout le fait bander mou ? A quoi bon s'en prendre à un modèle qui, au fond, lui apporte une certaine excitation ?
Elle est là la soumission dont parle Houellebecq et nulle part ailleurs.
C'est cette soumission à soi.
La soumission à son propre ego et à une jouissance dont on n'accepte pas qu'elle soit révolue.
Le seul vrai asservissement des aliénés du monde moderne : l'asservissement de ceux qui se sont contentés du confort de l'instant au seul service de soi...


Malheureusement, c'est aussi ça qui a fini par me perdre.
Car "Soumission" est finalement à l'image de son héros. Quand bien même peut-il faire illusion grâce à ses premiers traits d'esprit qu'il n'arrive pas pour autant à compenser ses limites sur la longueur.
Quand bien même "Soumission" est bien écrit et se lit vite, il finit par sombrer dans un lent déclin, faute d'énergie et de renouvèlement.
Comme son héros, le livre cède et se laisse bouffer sans se débattre. Et si c'est cohérent dans le fond ça n'en reste pas moins assez fade et redondant à la lecture.
Le regard ne s'enrichit plus. L'intrigue accomplit son cheminement logique mais sans plus donner l'occasion de surprendre.
Le final est fastidieux et anecdotique. J'avoue d'ailleurs ne plus trop en avoir de souvenir...
...D’où cette note médiane qu'au final je lui attribue.
...Un petit 5/10.
...Une note qui ne me convient pas pleinement mais dont je n'arrive pourtant pas à me départir.


Parce qu'à bien tout prendre, à part un spleen de vieux bourgeois rabougri par ses propres privilèges, "Soumission" n'a vraiment pas grand-chose à proposer.
Quand bien même je disais plus haut qu'un parallèle pouvait être fait entre François et un certain modèle français, il n'en reste pas moins que le rapprochement se fait toujours au service de l'individu bien plus qu'au service d'une lecture collective.
(Au fond quoi de plus logique venant de quelqu'un qui est justement le produit de cette bourgeoisie s'autoconsumant par le poids de ses egos hypertrophiés.)


Difficile par ailleurs de ne pas voir une certaine paresse dans cet ouvrage.
Qu'il est facile en fin de compte de se limiter qu'à soi et à ses propres sentiments.
La soumission à soi, dans l'histoire comme à l'extérieur, reste au fond le pire ennemi du plaisir véritable.


Mais bon...
D'un autre côté j'ai beau avoir fini ce livre sur une mauvaise note, le fait est qu'il m'a laissé quelque-chose.
...Mieux il a su me l'incarner.
Or, ça, c'est quelque-chose que je suis loin de trouver anodin dans une œuvre quelle qu'elle soit.
Car quand bien même "Soumission" m'a-t-il offert un parcours en demi-molle qu'il est néanmoins parvenu à m’imprégner de son cynisme poisseux.
Ainsi, moi qui était venu attiré par le souffre je ressors de là avec le blase d'une phase réfractaire qui me colle à la peau. Et étonnamment ça ne me dérange pas.
Au contraire même, j'ai l'impression d'avoir parcouru ce que Houellebecq entendait m'offrir...
...une soumission à lui.
Et l'air de rien c'est une soumission à laquelle j'ai fini par consentir un peu.
Comme quoi le bon Michel sait y faire...

Créée

le 17 mars 2021

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