Mettons d’abord au clair une des affirmations rabâchées par les médias à la sortie du livre, établissant que « ce livre est islamophobe ». Comme le dit Houellebecq dans une interview, même une lecture très inattentive permettrait de se rendre compte que ce n’est pas le cas. Au contraire, Houellebecq présente la France sous un jour positif (croissance, baisse du chômage et de l’insécurité, rayonnement international du pays dans une forme de Neo-Gaullisme) uniquement lorsqu’elle devient République Islamique. L’avant n’est que chaos, guerre civile larvée et, thème cher à Houellebecq, décadence d’une civilisation occidentale en perte de sens.
Cependant, Houellebecq n’est pas exempt de tout reproche. En effet, l’Islam qu’il présente est une caricature de l’Islam, celle d’un Islam rigoriste et intolérant. Houellebecq a rabâché durant la promotion de son livre, écourtée en raison des attentats de Charlie Hebdo, que le régime islamiste instauré de son livre est "modéré". Ce n’est pas vrai: la république islamique abolit la laïcité, il faut être musulman pour avoir le droit d’enseigner, la Sorbonne devient islamique et adopte le croissant islamique comme symbole, la polygamie est légalisée, les femmes sont voilées et, au grand dam de notre narrateur, elles sont sommées de porter seulement des pantalons. De même, Ben Abbes, le président islamique, impose un dirigisme économique qui supprime l'école obligatoire en faveur de l'efficacité économique. Face au régime islamique « modéré » qu’il présente, Houellebecq introduit des franges plus extrémistes – qui exigent une application de la loi et de la justice islamique – simplement pour faire passer le régime qu’il a créée pour « modéré ». Or, l’abolition même de la laïcité représente déjà un bouleversement important et la mise en place d’un régime, quoi que l’on puisse dire, autoritaire. Il est donc compréhensible que certains, les musulmans en premier, se sentent froissés par ce livre. En caricaturant de cette manière l’Islam, Houellebecq alimente l’amalgame que l’on pourrait faire entre l’Islam et l’Islam fondamentaliste. Voir une France qui devient République Islamique à la manière du régime Saoudien, c’est malhonnête intellectuellement même si ce n’est pas un théoricien, juste un romancier, un artiste. Pourquoi Houellebecq martèle donc que le Régime Islamique est modéré ? Car, contrairement à ce qui a été dit, il cherche à éviter la polémique. L’attitude du narrateur est révélatrice : il ne prend jamais réellement parti – comme Houellebecq en interview – il se contente de s’accommoder de l'enchaînement des événements sans jamais crier à l’atteinte aux libertés individuelles.
L’accommodement (la soumission ?), symptôme d’une société qui ne croit plus en rien, va devenir la question centrale du livre : est-ce que François, notre personnage principal, athée convaincu va résister et lutter contre un régime détruisant la laïcité et restreignant les libertés individuelles, ou va-t-il se soumettre, s’accommoder de la nouvelle situation ? A noter que cette question se pose à tous les Français car le patronyme François n’est pas un hasard, il représente tous les Français.
Il est toujours paradoxalement plaisant de lire le constat acerbe, pessimiste que Houellebecq dresse sur notre société et sur l’homme contemporain présenté, dans le livre, comme opportuniste, indifférent et perdu, cherchant à donner du sens à sa vie ; un personnage Houllebecquien par excellence en somme. Ce personnage, François, le héros du livre – ou devrait-on dire antihéros – un universitaire reconnu mais blasé, vivant au rythme de ses soucis administratifs, qui égaye sa triste vie en commandant des escorts et en réchauffant des plats préparés dégueulasses au micro-ondes, va servir de modèle de base pour dresser le bilan d’une France en mal civilisationnel, en reprenant les thèmes habituels de Houellebecq : pessimisme, échec du libéralisme, misère sexuelle, nihilisme…
L’indifférence du narrateur, quant à la tournure conservatrice du régime, répond, certes à l’opportunisme (la polygamie, voilà une manière de résoudre les frustrations sexuelles de notre narrateur), mais surtout à une confiance donnée en la foi comme si l’athéisme était devenu insupportable, comme si la seule solution à la décadence de notre temps serait le retour du religieux, la revanche de Dieu, incarnée par l’ordre d’une république théocratique islamique.
Il est intéressant de voir la lecture possible du futur dressé par Houellebecq : un monde où la religion serait le remède qui permettrait de donner du sens à la vie de chacun. Religion qui, dans le régime du président Ben Abbes peut, premièrement, être islamique ou catholique. Tant qu’il y a de la foi, il y a de l’espoir pour Ben Abbes, sa plus grande peur étant les athées. L’islam, comme toute autre religion, semble imposer un ordre, une direction, de la certitude dans la vie d’un homme. Or, on constate, que la religion ne serait peut-être pas le remède adéquat à la décadence promise : même dans le tout dernier moment du livre, le relativisme généralisé qui caractérisait la première partie du livre sévit encore : la conversion de notre narrateur se fait au conditionnel.
Le plaisir de la lecture est là : on sourit, on rigole parfois lorsqu’il peint les hommes politiques (Le Pen, Copé, Bayrou…) et les journalistes (Pujadas, Barbier…). Mention spéciale à Bayrou qui prend très cher : il est décrit comme un éternel indécis ayant le cul entre deux bords politiques, qui ne se positionne sur l’échiquier politique seulement par opportunisme, tant que ses changements d’opinions le rapprochent du centre du pouvoir. Il est donc la marionnette parfaite pour Ben Abbes qui le nomme premier ministre et se sert de la verve humaniste chère à Bayrou pour légitimer son régime.
Le personnage principal et les élites politiques et intellectuelles ne valent pas mieux que Bayrou : tous s’accommodent du régime, suivent le mouvement comme des moutons, vont au plus simple et se complaisent dans une société où l’atteinte aux libertés concerne surtout les femmes. On peut reprocher à Houellebecq de ne jamais leur donner la parole. On pourra lui reprocher de se lâcher un peu trop, sur la fin du livre, sur les femmes, qui sont réduite au rang de ménagère, cuisinière et compagne de chambre. Là aussi, il caricature l’islam, en tout cas, il ne serait pas aisé d'implanter cette vision de l'Islam en France. Les seuls personnages féminins représentées sont soit contraint à l’exil, soit soumises aux fantasmes décharnés du narrateur. On reproche à ces scènes de sexes d’être inutiles, d’être des moyens de fidéliser sa clientèle telle une série HBO qui montre des culs et des seins dès le premier épisode. Je ne suis pas d’accord. La vision trash de la sexualité – sans amour, sans plaisir, sans désir – cadre bien dans l’atmosphère pessimiste du livre et dans la décadence généralisée des valeurs que décrit Houellebecq.
Comme ses autres œuvres, on prend du plaisir à la lire, surtout lors de ses quelques fulgurances et considérations cyniquement amusantes. Certes, on le lit très vite car c’est bien écrit mais, dans l’ensemble, il manque quelque chose : à vouloir installer trop de relativisme dans son roman, il nous contamine et on ne sait plus trop quoi penser de l’œuvre. Pour les habitués de Houellebecq, on connait les thèmes, on connait le héros Houellebecquien, on connait les procédés utilisés, c’est juste un roman de plus à la sauce Houellebecq, qui aura le mérite d’être taillé pour faire la polémique.