Soumission poursuit l'entreprise de critique du monde contemporain occidental tel que Houellebecq l'a amorcée dès Extension du Domaine de la lutte, s'en prenant dans ses romans successifs au libéralisme économique, à l'hyper-consumérisme, à la dérive de la démocratie, et à la désagrégation des rapports humains et sociaux qui en est la conséquence.
Houellebecq nous met une fois de plus en présence d'un héros-narrateur en situation de dépression chronique, dont le goût pour la vie et pour ses semblables décline. Ce narrateur, François, assiste à la dérive de sa vie sociale, affective et sexuelle, et son activité professionnelle suscite de moins en moins son intérêt. C'est la figure récurrente du loser, archétype de l'anti-héro houellebecquien, qui est exclu des agapes de la libération sexuelle mais aussi d'une vie de couple épanouie, parce que trop moche, trop dépressif, pas assez riche, etc.
Houellebecq dépeint le cheminement de son narrateur, universitaire spécialiste de Huysmans, qui à défaut de trouver un sens à sa vie et pour "la chance d'une deuxième vie", va faire allégeance - se soumettre - à l'islamisme "modéré" du nouveau gouvernement sorti des urnes en 2022 en France, hypothèse très peu probable au regard de l'organisation politique et des fondamentaux de la sociologie électorale français. On est donc dans la politique fiction, ce qui permet à Houellebecq de faire - par la voix d'un personnage-clé du roman - un grand développement sur la mort politique et civilisationnelle de l'Europe.
Car Soumission place en son centre l'idée que depuis 1918 l'Europe a signé son arrêt de mort et que la principale doctrine politique qu'elle a porté, la démocratie libérale humaniste, ne lui survivra pas et n'a aucun avenir. L'Islam en tant que religion et que loi a donc supplanté les principes politiques promus par la civilisation européenne. D'où la conversion de son narrateur et personnage principal qui après une discussion avec le Président de l'université de Paris III, lui même converti à l'Islam, fini par se laisser convaincre de la pertinence de cette analyse. Voilà en gros le noeud intellectuel et politique qui est au coeur du roman.
Faut-il y voir de l'islamophobie ? Franchement, ce type de reproche et l'hystérie d'un Jean Birnbaum (http://lemonde.fr/livres/video/2015/01/07/le-livre-de-houellebecq-suscite-la-nausee-et-la-revolte_4550704_3260.html) me semble totalement déplacés et grotesques. Je n'éprouve aucune empathie pour la sensibilité décliniste de Houellebecq, mais je ne me suis senti ni asservi ni dégradé en lisant ce roman, mais cela m'a donné à penser, comme la plupart des ouvrages de l'auteur. Je ne prétendrai pas à ce stade émettre la moindre évaluation sur la place de ce livre dans la bibliographie de Houellebecq, ayant besoin d'un peu plus de recul que la réaction à chaud. On doit reconnaître à l'auteur, une fois de plus, d'être l'un des rares dans la littérature contemporaine mondiale à traiter sur le mode romanesque du monde politique et social, plutôt que de se contenter de décrire son nombril.