Au gré de mes recherches concernant le monde du polar hexagonal, je tombe par hasard sur le nom de Pierre Siniac. Ce qui rétrospectivement pose un problème, puisqu'un auteur de ce calibre ne devrait pas être déniché sur un simple coup de chance. Pourtant, et malgré les honneurs d'une adaptation chez Henri Verneuil avec Jean Paul Belmondo (excusez du peu) - Les Morfalous en 1984 - Siniac demeure tristement méconnu. Fin limier du roman policier, admirateur de Poe, Gogol ou du controversé Louis-Ferdinand Céline, l'écrivain se retrouve dans les univers sales teintés d'humour noir, où il peut à loisir ironiser sur ses personnages et livrer un portrait au vitriol de la France d'alors. Une antienne qui se fraiera également un passage dans ses livres d'aventures. C'est avec l'un d'eux que j'ai décidé m'affranchir à la prose de Pierre Siniac, Sous l'aile noire des rapaces.


La quatrième de couverture annonce un mélange entre Les Douze Salopards et Le Salaire de la peur. Et c'est la meilleure synthèse possible de l'ouvrage. L'objet de toutes les convoitises, un fourgon bourré d'or qui doit traverser la France du nord au sud, est le point de départ d'une course-poursuite endiablée parsemée de couacs, rebondissements saugrenus et de morts soudaines. Cela fonctionne d'autant mieux que la majorité des protagonistes se compose d'authentiques ordures. Inutile de vous préciser qu'il serait préférable de ne pas trop s'attacher à eux. Peine perdue puisque l'écriture s'emploie à disséminer un peu de tendresse sous l'énorme couche de misanthropie et d'humour féroce, histoire d'amadouer son lecteur avant de lui administrer quelques chocs bien violents. Par ricochet, une telle distribution accroit le suspense compte tenu du fait que si tous ont le même objectif (subtiliser l'or du fourgon), les méthodes pour le remplir varient grandement d'un individu à un autre. Ils pourraient même se tirer dans les pattes que ça ne surprendrait pas. En soi, ils sont représentatifs de leur environnement, et c'est là que se situe l'autre triomphe de cette équipée sauvage.


Le contexte n'est pas anodin, il est même primordial. Nous sommes plongés en plein exode de juin 1940, alors que l'Allemagne vient d'infliger une lourde défaite à la France et que bon nombre de citoyens choisissent de fuir les grandes villes pour se calfeutrer dans le sud, en province, n'importe où loin des troupes du 3ème Reich. Dans les faits, huit à dix millions de personnes sur les routes, en voitures, en cars, en charrettes, à pieds. Des bouchons sur plusieurs dizaines de kilomètres, dans une chaleur torride et sous les bombes ennemies. Ajoutez l'attitude parfois très arrangeantes de certains villageois à l'égard des envahisseurs, le chacun pour soi qui pollue les rapports entre fugitifs, enfin une résistance qui s'évertue à ralentir la progression des forces de l'axe en minant ponts et voies de communication. Et au milieu, nos brigands bien décidés à mener leur braquage dans ce tintouin. Voilà. Mission : Impossible à côté c'est un week-end en thalasso.


Le style est à l'antithèse du cursif (beaucoup de descriptions), toutefois cela n'entame jamais le plaisir de la lecture, au contraire. Siniac n'a pas la prétention de faire le travail d'un historien, mais il délivre une peinture édifiante, extrêmement documentée jusque dans son usage de l'argot (on apprend beaucoup de mots ou d'expressions typiques de l'époque), une dimension consolidée par les souvenirs de l'écrivain (âgé de 12 ans en 1940) . Tant et si bien qu'on y croit à chaque instant, même dans les morceaux les plus rocambolesques, toujours recouverts d'une délicieuse pointe de sadisme. Pour pinailler, on pourra arguer que les dernières pages font légèrement retomber le soufflé sans pour autant se départir du mauvais esprit qui a illuminé le livre d'un bout à l'autre.


En guise de présentation, on ne peut pas espérer mieux. De l'aventure, de l'action, des retournements de situation, de l'humour un peu partout, une galerie de personnages marquants et un tempo qui ne faiblit jamais. Le genre de découverte qui laisse sur le carreau mais qu'il faudra impérativement confirmer avec d'autres œuvres de Pierre Siniac, auteur définitivement méconnu alors qu'il a comprimé en 350 pages ce que bien peu de de films réussissent à accomplir. Une injustice qui je l'espère sera réparée avec les années. En tout cas, la collection rivages/noir ne s'y est pas trompée en ajoutant Siniac à la liste de ses chouchous. Donc, je ne saurai trop vous conseiller de grossir le rang de ses aficionados.

ConFuCkamuS
9
Écrit par

Créée

le 13 août 2021

Critique lue 54 fois

ConFuCkamuS

Écrit par

Critique lue 54 fois

Du même critique

Dune
ConFuCkamuS
4

Anesthésie Spatiale

Peut-on partir avec un avantage si l'on décide d'aller voir l'adaptation d'une œuvre matrice dans la littérature ? Oui, en ne l'ayant pas lue. Il n'est pas toujours aisé de jongler entre...

le 15 sept. 2021

66 j'aime

8

I Care a Lot
ConFuCkamuS
4

Épigone Girl

Dur d'échapper à son rôle phare. Propulsée sur le devant de la scène avec le rôle d'Amy dans le d'ores et déjà classique Gone Girl réalisé par David Fincher, l'actrice Rosamund Pike n'a pas ménagé...

le 20 févr. 2021

60 j'aime

Les Trois Mousquetaires - Milady
ConFuCkamuS
3

Tous pour presque rien

Huit mois, ça peut être un vrai obstacle à la compréhension à l'ère du streaming et du binge-watching. Tout spécialement si vous vous lancez dans la suite d'un film pas très fameux, et que cette...

le 13 déc. 2023

48 j'aime

7