En marche "sur les chemins noirs"

Marcher c'est le propre de l'homme et de la femme. J'aime et j'ai besoin de marcher. Je pense que l'exercice (pas sportif) régulier de la marche est un bienfait de santé publique. A l'école, en éducation physique on pourrait apprendre aux élèves à «marcher autrement» Mais voilà, on a fait du mot Marche un label et quand on le dit il faut ajouter vite, «non c'est pas de Lui dont je parle...»
Quand on s'intéresse à la marche -ou pas- on lit des ouvrages sur la marche, (récits, témoignages, philo de la marche, thérapie de la marche... ouf!). C'est un de ces livres que je viens de lire, Sur les Chemins Noirs de Sylvain Tesson , aux éditions Gallimard, publié fin 2016. On le connaît, écrivain-baroudeur-aventurier ayant beaucoup écrit et beaucoup raconté notamment dans son carnet assez exceptionnel, Dans les forêts de Sibérie, en 2011. Récit de six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal.

Et après avoir voyagé dans nombreuses contrées, cette fois-ci son périple se déroule en France, sur les chemins noirs. C'est à la suite d'un accident grave (chute d'un toit en état d'ivresse) que Sylvain Tesson s'est promis, pendant sa longue hospitalisation, de traverser la France s'il s'en sortait. Peut-être comme une "rémission": «J'avais rêvé cette balade en France dans un lit, je m'étais levé pour l'accomplir, elle s'achevait. C'était un voyage né d'une chute. Certains chemins avaient été suffisamment labyrinthiques et solitaires pour mon goût. Y flottait encore l'odeur des aubépines et des écorces fraîches. J'avais assorti ma balade de quelques trébuchements. Mon arrivée consistait à m'approcher des parapets pour y solder mes comptes et oublier les infortunes».

Il part donc de la frontière italienne, vallée de la Roya dans le Mercantour le 24 août pour arriver plus de deux mois plus tard au nez Bayard, pointe de la Manche dans le Contentin le 8 novembre. Cette traversée il l'a appelé les chemins noirs. Inspirée, si on peut dire, d'un rapport commandé par le premier-ministre Jean-Marc Ayrault sur l'aménagement des campagnes. C'est à l'époque d'un autre premier-ministre, Manuel Vals, que le rapport fut publié sous le titre «Hyper-ruralité». Les experts, toujours nombreux multi-disciplinaires dans ce genre de rapports, déploraient «l'arriération de ces territoires qui échappaient au numérique, qui n'étaient pas assez desservis par le réseau routier, pas assez urbanisés ou qui se trouvaient privés de grands commerces et d'accès aux administrations». Ce rapport, comme bon nombre d'autres n'a rien apporté sur le terrain. Il a servi toutefois à Sylvain Tesson pour dessiner son parcours et suivre en partie l'hyper-ruralité de Messieurs les experts. Il trace ainsi une diagonale du Mercantour au Contentin, pour se «faire une santé».

Nous suivons donc, au jour le jour, son journal de marche. On n'aura pas les adresses d'hébergement (il campera presque tout le temps) ni les coordonnées de GPS, qu'il n'a pas. Il se fie aux cartes de l'IGN. Mais nous aurons plus. Les pages de son carnet-de-pas sont remplies de pertinentes, souvent impertinentes, observations de multiples références et allusions de quelqu'un qui a beaucoup bourlingué, beaucoup rencontré et les raconte à sa manière, enlevée, ironique jamais indifférente. Ses descriptions, dans la traversée des villages, le contournement des villes, certaines rencontres, viennent compléter un état des lieux et peut-être ce que les experts n'ont pas pu apprécier. Il ne prend pas de gants, ne fait pas dans la dentelle ou la courtoisie, mais tombe souvent juste ou en tout cas suscite l'interrogation et donne envie de reprendre le chemin.

Quand on marche, longuement, sac à dos, on redécouvre le monde avec un autre regard. Ce qu'on croise prend une autre forme, on le voit de loin, on l'approche pour mieux apprécier les contours, on l'observe plus précisément, on le croise, on poursuit son chemin. De nouvelles images surgissent, d'autres pensées, réflexions, associations et on continue léger. Sur le carnet on laisse courir son crayon qui notera tout ça, si simple, avec joie ou avec indignation mais toujours revigorant. C'est comme cela en tout cas que j'ai «cheminé» dans les pages des sentiers que Sylvain Tesson a, à sa façon, balisé.
https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/170817/en-marche-sur-les-chemins-noirs