Le dernier-né des éditions Antidata agrandit encore une famille de surdoués.

Paru en mars 2015, «Terminus, 11 nouvelles sur le thème du dernier», enchantera une fois de plus les habitués des recueils de nouvelles publiés par les éditions Antidata, et devrait inciter ceux qui les découvrent à se plonger dans leurs précédents recueils collectifs, sur les thèmes de la phobie ("Jusqu’ici tout va bien", 2014), du cinéma ("Version Originale", 2013), du football ("Temps additionnel", 2012), de la musique ("Douze cordes", 2011), etc.


On pourra revivre ici les péripéties du dernier voyage et de l’ultime retour d’un écrivain casanier, qui a toujours craint les pièges et coups de poignard dans le dos, ou d’être perdu s’il s’éloignait de sa base (Philippe Jaenada, «Mon dernier voyage (je le jure)»), suivre l’escapade nostalgique, ironique et désenchantée d’un homme cherchant à échapper à un coup de vieux qui a des allures de coup de grâce (Jean-Luc Manet, «Attrape un dernier cœur»).


«Ce n’était pas une fuite, encore moins un adieu. Pas même un baroud d’honneur aux responsabilités et à la roue qui tourne. Juste le besoin de rabioter un peu de temps et – à propos de roue qui tourne – d’extraire une dernière fois le rat de sa cage.» (Jean-Luc Manet)


Un de mes plus gros coups de cœur dans ce recueil est «La lumière rend aveugle» de François Szabowski, la trajectoire désespérée mais néanmoins d’une drôlerie ultime d’un amoureux dépressif.


«Les Parisiens sont des têtards pondus dans un ficus en pot. Ils ne dorment pas. Ils clignotent fébrilement dans la ville comme une bactérie au microscope, maintenus artificiellement en vie par la caféine et les apéros afterwork. Moi je suis un animal de la forêt, aux poumons larges et aux muscles saillants, conçu pour la lutte, la survie, qui ne ménage pas sa peine pour se frayer un chemin vers le bonheur à travers la jungle de ses semblables.»


«Je me suis effondré sur l’oreiller, effaré. J’allais enfin être parfaitement heureux. C’était horrible.» (François Szabowski)


J’ai aussi adoré «Au signal sonore» de Laurent Banitz, où l’usager des transports en commun est poussé dans les retranchements ultimes d’un éternel recommencement, la course poursuite hallucinée de Stéphane Monnot, dans «Le Texan, la Gouine et le Taliban (bois mort et gel hydro-alcoolique)», toujours aussi talentueux pour brosser le portrait de névrotiques sévèrement déjantés, «Le dernier fermera la porte» de Guillaume Couty qui renouvelle avec beaucoup de talent le thème de la déshumanisation des grandes organisations kafkaïennes et de l’enfermement dans les immeubles automatisés qui les abritent, la nouvelle de Gilles Marchand, «90 Watt», qui évoque avec sensibilité et une poésie étonnamment poignante, la décompensation absurde d’un quadragénaire soumis à une pression sociale trop forte à supporter pour fonder une famille.


«Et mes amis répétaient inlassablement «tu es le dernier», sous-entendant que ne pas avoir d’enfant faisait de moi un être différent exclus de leur tribu, un éternel adolescent ou encore un loser de la relation sentimentale (ne pas avoir fondé de famille à quarante ans était synonyme d’échec total, à peu près équivalent à celui d’habiter un pavillon de banlieue dépourvu de tondeuse à gazon, de chien et de barbecue).» (Gilles Marchand)


Et enfin le dernier voyage de ce recueil, une vision mystérieuse d’Antoni Casas Ros sur l’immortalité, «Le Fauteuil rouge».


«J’ai beaucoup aimé la crémation. Partir en vrille dans le ciel. Les graisses fondent, les os craquent, les yeux se liquéfient, le cerveau se met à bouillir. Alors ce qui fut une chair de mots flottants devint une fine poussière presque bleutée glissée encore chaude dans une urne qui fut remise à ma fille. Ensuite, elle et mes amis allèrent déjeuner dans un restaurant que j’avais choisi. Le cava et le Ribeiro del Duero coulaient à flots pendant que la peau du porcelet craquait sous les dents avides de mes amis, transformés en cannibales. Ils mangeaient ma chair. Ils dirent de belles choses à mon propos et déjà l’idée leur vint de rassembler mes poèmes pour en proposer l’édition intégrale à mon dernier éditeur. Mais j’écoutais d’une oreille distraite, toute ambition gommée. Le temps que les cendres refroidissent sur le fauteuil rouge, que la vitre soit scellée, je me retrouvai seul, dans une absolue tranquillité.» (Antoni Casas Ros)


Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/04/24/note-de-lecture-bis-terminus-collectif/

MarianneL
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le 25 avr. 2015

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Critique de Terminus par Louloulalu

9 nouvelles et demie sur 11 qui valent vraiment la peine d'être lues, c'est une première pour moi chez Antidata. Je sais pas si c'est bon signe ?

le 10 mars 2015

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