Ubasute
6.8
Ubasute

livre de Isabel Gutierrez (2021)

Ubasute ou le réenchantement de Sokourov

La rentrée littéraire a paré les tables d'un nombre incroyables de livres... Même s'il faut reconnaître que sur les 521 publiés, il est fort à parier que vous n'en croisiez qu'une centaine, à peu près toujours les mêmes, avec parfois une maison d'édition sortie de derrière les fagots, soutenue par un libraire et son coup de coeur.


La fosse aux ours est dans son cas une maison d'édition à taille humaine, avec environ 6 parutions à l'année, mais déjà bien ancrée dans le paysage littéraire.


Pour sa rentrée de septembre, elle glissa dans les mains des libraires, Ubasute, le premier roman d'Isabel Gutierrez.
Sa belle couverture blanche au dessin de montagne, la longueur du livre n'excédant pas les 150 pages, voilà de quoi parler aux coeurs harassés par les pavés et de quoi étonner aussi. La France ne porte pas un grand amour (même si cela vient) aux courts récits.


Alors Ubasute.... C'est déjà un mot, un rituel japonais qui consiste à mener au sommet d'une montagne les aïeux sur le point de mourir. Une tradition finalement pleine de pudeur où la mort se joue en solitaire dans le détachement au monde, lent, par la montée progressive d'un sommet, accompagnée par un proche.
C'est également ça le roman. Marie, une femme atteinte d'une maladie demande à son fils de la conduire vers sa mort. En chemin, elle plonge doucement dans ses souvenirs, sa vie. Une sorte de film en Super8 au ralenti pour un être qui s'en va.


Soutenu par une écriture légère, presque effacée, Ubasute évite le dangereux écueil du pathos, pour ne laisser qu'un voile de réflexion sur la simplicité des choses, celle d'un bol de simple facture par exemple.


Aux yeux des cinéastes avertis, ce livre renverra au magnifique film de Sokourov, Mère et fils. La puissance des liens entre une mère et son enfant, la difficulté de lâcher celle qui part. Tandis qu'avec Guiterez c'est le point de vue de la mère qui est adopté, chez Sokourov nous sommes saisis par la douleur du fils, ses gestes d'amant envers cette femme mourante ; une brosse passée avec délicatesse dans les cheveux filasses de celle dont le visage se détourne vers les ombres.


Un film, un livre qui se répondent... Creusent dans un tabou millénaire : l'amour filiale, dévorant et maladif, qui va des larmes du fils, à la caresse sur la joue par la main frêle.
C'est là que la tragédie survient : lorsque le corps ne tient qu'à un fil, que le squelette pique la chair, alors l'obsession de l'autre devient plus forte. Et celui qui meurt, veut mourir, celui qui est à côté retient la peau de chagrin comme jamais il n'eut conscience de le faire.


Laisser l'autre s'éteindre est plus beau dans les films et les livres. Sokourov parvient à envelopper la misère dans un halo de grâce ; Guiterez à donner à lire la maladie sans jamais la rendre nauséabonde.


Des tableaux d'une mort en devenir, un souffle d'Ubasute et c'est une invitation à l'ailleurs, pour une rentrée littéraire discrète mais, c'est bien ce qu'il fallait pour une telle histoire.


-> Critique publiée ici, aussi.

SPDD
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le 6 nov. 2021

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