Ubik
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Ubik

livre de Philip K. Dick (1969)

J'avais déjà entamé ce livre il y a quelque temps de cela, mais j'avoue en avoir abandonné la lecture, désorienté et irrité à l'époque par ce style étonnant et par le fouillis des idées de Dick. J'ai mis depuis des kilomètres sous le capot côté SF (et côté lecture) et c'est avec un plaisir certain que j'ai cette fois-ci parcouru les pages de ce très très beau roman.


D'emblée on ne peut que s’enthousiasmer pour le style inimitable de Dick, qui mêle un amoncellement foutraque et jouissif d'idées saugrenues et pourtant toutes cohérentes et une narration qui colle aux petits aspects de la vie des personnages. Dick n'est pas un dieu omniscient contrôlant ses personnages, c'est un reporter la caméra sur l'épaule qui suit le protagoniste jusque dans les chiottes.
Et c'est une extraordinaire galerie de portraits que nous fait Dick , entre ce patron en conversation avec sa défunte épouse, et ces employés psy-médium- x-men improbables qui bataillent autant contre des portes fermées (5 cents, please) que contre des méchants invisibles aux pouvoirs étranges. C'est aussi cet art des petites choses, ce sens de la personne, cette narration des sentiments qui me plait personnellement chez Dick. Certains personnages n'apparaissent que dans une page, mais ils ont tous quelque chose à dire.


Il y a bien sûr l'intrigue, joyeux bazar qui nous emmène de la Suisse à la Lune puis de la Lune aux States, dans toutes sortes de véhicules, de l'astronef (qu'il décrit "vertical" , on imagine donc une fusée à la Tintin) à la voiture d'antan qu'on démarre à la manivelle. Disons juste qu'il s'agit de corporations en guerre, et des conséquences étonnantes d'un attentat sur un groupe de sur-humains employés par une de ces corporations, les plongeant dans une "réalité" aussi angoissante qu'instable. C'est parfois assez loufoque, mais le côté déjanté de Dick ne doit pas nous faire oublier le sérieux extraordinaire de ce type, qui décrit bien souvent un monde dont le nôtre ne s'éloigne pas tant que cela.
J'ai beaucoup apprécié la satire (on doit rapprocher Dick de cet autre satiriste fabuleux qu'est Vonnegut Jr) du capitalisme , qui marche si bien en 1990 que toute action si banale soit-elle réclame un paiement cash en avance (à l'opposé de la société américaine, où tout se fait à crédit, d'ailleurs ), occasion de savoureux dialogues et échanges de pièces et où de grandes corporations construisent des bases lunaires et les millionnaires se cachent en Suisse pour mourir ( les morgues remplacent les banques, mais hey, n'est-ce pas la même chose?). Billets et pièces de monnaie tiennent d'ailleurs un rôle " d'ancrage" dans ce roman où littéralement tout fout le camp !
La société moderne de Ubik parait aussi follement actuelle, à l'heure des révélations de Snowden, et on lit avec plaisir cette histoire d'espionnage et contre espionnage qui rappelle beaucoup le monde des virus et anti-virus informatiques, et l’impossibilité de se prémunir contre les intrusions corporatistes. Mais le monde de Dick est beaucoup plus intéressant, mêlant technologie, pouvoirs psys et existence de l'au-delà !


C'est un ouvrage qui se laisse lire comme une bande dessinée, qui vous donne quand même des scènes éprouvantes dignes d'un film d'horreur (une scène dans un escalier, fabuleuse) et qui vous tient en haleine par l'extraordinaire mystère qu'il entretient sur une question fondamentale : lisons-nous la réalité ou le reflet distordu de la réalité? Pensez-donc: voilà un bouquin où on n'est pas sûr en le lisant si le héros est mort ou vivant ! En ce sens le livre est angoissant, troublant et à cent lieues de la légèreté du départ, et le vertige métaphysique n'est pas loin.
Philip K. Dick nous tient scotchés à l'effarement même des personnages que nous suivons, nous faisant partager leur angoisse, leur terreur, leur bêtise et leurs coups de génie. Un superbe moment de lecture qui ne lâchera pas vos neurones.

nostromo
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le 21 nov. 2013

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nostromo

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