M’intéressant à la psychologie et particulièrement à la psychanalyse, j'ai commencé comme tout bon débutant par aller voir du coté de tonton Freud, histoire de se familiariser avec les concepts de base. Bon, même si on est pas obligé d'agréer avec tout ce que dit tonton Sigmund, l'idéologie reste intéressante. Du coup j'en suis venu à discuter psychanalyse avec une amie, qui, dans sa grande bonté, m'a offert ce fameux voyage à travers la folie, livre qu'elle apprécie beaucoup mais qui m'a été plus ou moins vendu comme l'histoire d'une fille qui peint avec son caca (bon je suis peut être un peu de mauvaise fois là dessus). Vu comme ça, c'est pas forcément tentant, et pourtant...


Ce voyage nous raconte l'histoire de Mary Barnes, en se focalisant essentiellement sur son séjour à Kingsley Hall, lieu de vie d'une communauté où médecins et patients se confondent, afin de traiter les troubles psychologiques qui la ronge depuis l'enfance. La première chose remarquable sur cet essai, c'est qu'il est écrit à quatre mains. Par Mary Barnes majoritairement, sous forme de journal autobiographique, et par Joseph Berke, le psychiatre ayant suivi Mary durant ses années de séjour à Kingsley Hall. L'alternance entre le point de vue de Mary, brut, déstructuré, et celui du psychiatre, analysant ces gestes, ces états d'âmes sous une nouvelle perspective offre un relief assez plaisant à l'ensemble.


Autre chose remarquable, ce livre témoigne d'une démarche marginale pour l'époque, où la majorité des traitements des troubles psychiques se résolvaient par un pic à glace au fond de l’œil où par gavage de médicaments. Ici, rien de tout ça. On nous parle de communauté, de méthode jugées "anti-psychiatriques", où la maladie se soigne par la parole et le soutien des autres. Avec un peu de recul, cette communauté pourrait même être apparentée à celle d'une secte, certaines analogies se ressentent d'ailleurs à la lecture.


Pour en revenir à Mary, ce qui reste assez surprenant dans sa manière d'écrire, c'est qu'on a toujours l'impression qu'elle garde une certaine lucidité sur son état. On comprends l'origine de ses troubles, comment ils ont mûris et l'ont rongés pendant des décennies, et comment au final, même si on comprends que la présence d'autres personnes a été inestimable pour cela, on l'a laissé suivre son propre processus de guérison. On l'a laissé prendre conscience de son état, régresser à la source ses problèmes, et on la suit à chaque instant de ce processus.


C'est principalement là, à mon sens, que la lecture du livre est indispensable pour qui s’intéresse un minimum à la psychologie, et même pour toute personne voulant comprendre certains mécanismes émotionnels. Mary redevient un enfant, Mary joue avec ses excréments, Mary est odieuse avec ceux qui l'entourent, Mary se découvre des talents de peintre et exprime ce qu'elle ressent à travers son langage corporel, Mary reste au lit durant des semaines... Autant d’alternances d'états qui dénotent d'autant de troubles émotionnels à résoudre, et résolus, toujours dans l'empathie. On pose des gestes et des mots sur des comportements pouvant paraître aberrants, on effectue un voyage à travers une personne brisée, on ne tente pas d’emprisonner l'individu à l'écart, au sens littéral ou médicamenteuse du terme. On laisse le malaise s'exprimer pour y faire face par l'écoute et la simple présence.


La folie, la schizophrénie, la dépression deviennent des concepts compréhensibles parce que nous y sommes tous sensibles à un moment où à un autre de notre vie, même si parfois cela reste imperceptible et à des niveaux bien moins élevés que les situations racontées ici. On comprend que les structures émotionnelles reposent sur des fondations fragiles qui sont encrées dans le vécu de chacun des individus et qui peuvent rapidement s'effondrer si on ne les remets pas en question. Mary, aussi malade qu'elle soit, en reste toujours consciente, même dès son plus jeune âge. Et c'est peut être ça qui en fait parfois, malgré tout, la moins folle d'entre nous.

BaronBeber
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le 23 sept. 2015

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