Avant de commencer à évoquer plus en détail cet excellent roman de Robert Goolrick, il me faut en préambule remercier ici la délicate Aurea, qui a pris la peine de me conseiller ce livre, qui, de prime abord, ne correspondait pas forcément à mon horizon d’attente. Un titre à mon sens assez peu engageant, un résumé de quatrième de couverture plutôt destiné aux amateurs de littérature romantique du XIXème siècle (la référence à Jane Eyre n’est pas là par hasard) et une illustration qui aurait tendance à faire fuir la plupart des hommes (oui, je sais, ce commentaire est parfaitement sexiste). Oui mais voilà, lorsqu’un autre lecteur dont vous appréciez la sensibilité et dont vous respectez éminemment les goûts, et la manière dont il les partage, vous conseille personnellement un roman… eh bien, vous n’avez guère d’autre choix que de lui faire confiance. Et grand bien m’en a pris.


Paru en 2009, Une femme simple et honnête est le premier roman de Robert Goolrick, écrivain américain originaire de Virginie, désormais bien implanté dans le paysage littéraire français. Si j’ai un conseil à vous donner au sujet de ce livre, c’est de ne pas porter trop d’attention au résumé de quatrième de couverture, non pas qu’il soit malhonnête ou mensonger, mais il ne recouvre qu’une très mince partie des enjeux de ce roman et n’en donne qu’une vision très parcellaire… sans doute par peur de trop en dévoiler.


L’histoire se déroule à la fin du XIXème siècle, dans la région du Wisconsin. Ralph Truitt, riche magnat local, âgé d’une cinquantaine d’années, décide de mettre fin à son célibat forcé en passant une annonce dans un journal de Chicago. L’homme, désabusé par un passé amoureux difficile, ne cherche pas exactement l’amour, mais la compagnie d’une femme “simple et honnête”, qui acceptera de devenir son épouse et sera disposée à prendre soin de lui lorsque ses vieux jours seront arrivés. En échange, il lui apportera tout le confort matériel et la sécurité financière que son immense fortune lui confèrent. Aussi la choisit-il, jeune certes, mais sans grâce excessive, de peur que l’attrait d’une femme plus belle ne ravive les vieux démons d’une sensualité profondément réprimée. Une époque de débauche et de violence dont il préfèrerait ne plus jamais se souvenir. Aussi est-il surpris lorsque Catherine Land dépose sur le quai de la gare ses maigres effets personnels, car la jeune femme ne ressemble en aucune manière à la photographie qu’elle lui avait envoyée dans une de ses lettres. Certes, sa mise est simple, voire austère, et sa petite valise ne semble presque rien contenir, mais celle qui lui fait face est d’une beauté à couper le souffle. Sa petite robe de laine grise ne peut cacher sa taille gracile et laisse deviner des formes d’une grande sensualité. La finesse de ses traits, rehaussés par l’intensité de son regard, l’élégance de son port de tête et le raffinement de ses gestes cadrent mal avec la silhouette un peu lourde et les traits sans charme de la femme de la photographie, qu’il avait eu tout le loisir de contempler au cours des jours précédents. Aussi Ralph Truitt est-il contrarié et le sentiment d’avoir été trahi et manipulé le taraude profondément, au point de lui faire perdre le contrôle de son attelage sur le chemin du retour à la maison. Cette femme assise à ses côtés lui a menti, cette femme à la beauté époustouflante l’agace autant qu’elle l’attire. Rendus nerveux par la colère de leur maître, les chevaux s’emballent à la suite d’un petit incident avec un cerf qui n’en demandait pas tant. L’attelage sort de la route et termine à quelques mètres de la rivière gelée. Ralph Truitt a chuté et reçu un profonde blessure à la tête, l’un des chevaux s’est cassé une patte, il faudra l’abattre. Catherine réussit néanmoins à calmer les bêtes et à ramener Ralph dans sa demeure, où attendent avec impatience sa gouvernante et son mari. Avec leur aide, Catherine parvient à soigner Ralph, à recoudre sa plaie, à le veiller durant des nuits entière, alors que la fièvre le fait délirer et que les spasmes agitent son corps de soubresauts. Les soins qu’elle lui apporte le sauvent de l’infection et de la mort… et Ralph n’est pas un homme aigri ni ingrat. Il décide donc de l’épouser, mais quel mariage peut-il commencer par un mensonge, comment deux être rongés par de lourds secrets peuvent-ils construire une relation saine et équilibrée et, surtout, pour quelles raisons semblent-ils fuir l’amour et se retrancher derrière une froideur de façade ?


Mensonges et secrets sont donc au coeur d’une intrigue que le lecteur aura sans doute rapidement devinée, mais qu’il serait pour autant dommage d’évacuer trop rapidement. Il est évident que le thème de la manipulation et de la veuve noire ont été exploités à l’envi en matière de littérature et que toutes leurs variations sonneront de manière familière au lecteur. Mais l’auteur a suffisamment d’intelligence pour le savoir et pour connaître les limites de l’exercice de l’hommage. Certes, le roman rappelle par certains aspects les grands auteurs romantiques du XIXème siècle et le rapprochement avec l’oeuvre des soeurs Brontë n’est en rien usurpé, mais le style (admirablement retranscrit par la traduction) se veut évidemment plus moderne et le sentimentalisme exacerbé est ici quelque peu contenu. Ce qui n’empêche en rien ce roman de déployer à travers le récit passé des personnages, une très grande sensibilité. Le désir est également au coeur de ce roman à la sensualité puissante et imagée, sans pour autant sombrer dans le graveleux ou l’érotisme débridé. Le désir est ici ausculté à travers le prisme du passé, pour mieux éclairer le présent. Nous sommes certes bien plus que la somme de nos désirs et de nos souvenirs, mais l’auteur s’attache à expliquer les réactions de ses personnages à travers leur histoire, en évoquant les traumatismes de leur enfance, le poids de leur éducation ou des valeurs morales et religieuses. D’une certaine manière le personnage de Catherine fait parfaitement écho à celui de Ralph. Tous deux sont en souffrance, tous deux sont hantés par leur passé, tous deux répriment leurs émotions, terrifiés à l’idée de laisser parler leur désir et leurs sentiments. Et pourtant ces deux êtres qui se cherchent finissent par se trouver et par laisser leur sensualité s’exprimer et parler le langage du corps, celui qui se passe de mots et exprime une pure vérité. Cet amour qui naît n’a rien d’une bluette gnan gnan, sa puissance renverse tout sur son passage, il est pétri d’humanité, il ouvre les coeurs et soigne les maux du passé, il fait oublier les mensonges et les demi-vérités, il n’est que pardon. Nous ne sommes pas monolithiques semble nous dire à juste titre Robert Goolrick, chaque être humain doit composer avec son héritage, ses démons intérieurs, ses angoisses, mais aussi avec ses désirs et ses aspirations. Le mal n’est pas inscrit dans nos gênes et, sans pour autant faire abstraction de notre passé, il est possible de pardonner et de se pardonner. Une évidence ? Peut-être, mais si c’était réellement le cas, le monde tournerait sans doute bien mieux.


Une femme simple et honnête, n’est pas un roman parfait, certes, mais porté par deux personnages puissants et émouvants, il est traversé par un profond humanisme et une grande sincérité. Ses qualités d’écriture sont par ailleurs évidentes, servies par une traduction impeccable et élégante. A défaut d’atteindre la perfection supposée du modèle revendiqué, cela suffit à faire de ce roman une lecture plus que recommandable.

EmmanuelLorenzi
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le 14 janv. 2020

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