« Une joie féroce », dernier titre de Sorj Chalendon est un des plaisirs de cette rentrée littéraire d’automne 2019. Le titre, subtil mélange de sentiments contradictoires reflète bien l’écriture en clair-obscur qu’a choisi de développer Sorj Chalendon pour ce roman. On rit, on grince des dents, on compatit, on se moque de la naïveté des personnages, on est éblouit par leur sagesse !
Jeanne est une ‘demande pardon’ permanente. Elle s’efface toujours pour les autres, est à leur service. Soldat inconnu au sein du bataillon des sans nom, elle ne connaît aucun regard tendre et attentionné posé sur elle. Rien d’autre ne l’occupe et la préoccupe que de tenir son rôle de pivot du quotidien pour tous ceux qui n’en ont même pas conscience d’être et donc d’avoir une place à tenir, à commencer par son mari.
Mais voilà, avec un sens diplomatique abscond, la Faculté lui annonce avoir détecté un petit quelque chose qui, sans être même le plus souvent nommé, vous pourrit la vie, ou ce qu’il en reste. La voilà propulsée au statut de combattante face à longue et pénible maladie… Cela va-t-il modifier le regard d’autrui sur elle ? En ce qui concerne ses proches, même pas sûr !
Jeanne va donc s’inventer une vie de résistante. Avec Brigitte, Assia et Mélody, toutes trois, comme elle, assidues des soins cancéreux, elle va faire éclater le misérabilisme ambiant et faire péter la vie comme on ferait sauter un bouchon de champagne ! Pour un coup d’éclat, pour un coup de tête, pour un coup de réussite ou un coup de dépit.
L’histoire est tendre, truculente, grotesque, irréaliste mais tellement vraie. Les traits sont caricaturés, il faut croire à la farce, à une vie meilleure, même rêvée.
Dans la limpidité du récit, on ne sait pas trop où on va, mais on y va avec plaisir. On se laisse emporter par l’histoire, on partage les joies, les peurs, la tristesse et la révolte de la bande des quatre… Sorj Chalendon nous emmène où il veut jusqu’à l’étonnement, le biais inattendu et une fin qui laisse la question du bien et du mal en suspens ! Chacun appréciera à son aune. Il reste un vrai et bon roman, signé par une plume qui n’a plus rien à prouver et qui continue enchanter la vie d’un regard particulier.