VillaTriste prend la forme d'un récit initiatique à partir des souvenirs du narrateur. De retour quinze ans après sur les lieux d'un épisode étrange de sa propre vie, il tente d'en ressaisir les moments les plus importants. A dix-huit ans, en 1962, il décide de quitter Paris pour échapper au climat oppressant lié à la guerre d'Algérie, et peut-être à la menace de la mobilisation. Il se réfugie à Annecy (nommée A. dans le livre), dans une pension, et il prend part peu à peu à un univers confiné, au centre duquel deux personnages joueront un rôle essentiel dans cette parenthèse : Yvonne Jacquet et René Meinthe qui occupent une chambre dans l'hôtel Hermitage, sur les bords du lac d'Annecy, non loin de la Suisse.
Le narrateur se fait appeler Comte Victor Chmara, et se construit une fausse biographie pour mieux échapper à sa propre identité et au malaise qu'il ressent. Il se laisse absorber par la vie oisive et futile du faux couple, qui tous deux sont originaires de la région. Yvonne Jacquet commence une carrière de comédienne, et René Meinthe, fils d'un médecin connu et lui-même médecin, homosexuel extraverti, semble participer à des activités mystérieuses, au sein d'un réseau qui va jusqu'à la Suisse. Le narrateur tombe amoureux d'Yvonne qui lui présente son oncle, chez qui ils vont dîner. Puis il lui proposera de partir avec lui en Amérique afin qu'elle puisse pleinement réussir sa carrière d'actrice. Meinthe finira par se suicider.
Si Villa Triste, publié en 1975, n'explore pas la période de l'Occupation, le roman n'en concentre pas moins tous les thèmes, les motifs et le style de l'univers de Modiano : quête d'identité d'un narrateur qui cherche à reconstituer une séquence passée particulièrement marquante, personnages énigmatiques aux activités vaguement inquiétantes, atmosphères évanescentes, minutie et précision de la description des lieux dans lesquelles les personnages évoluent comme des fantômes. C'est un récit initiatique car le narrateur découvre l'amour, ses espoirs et ses désillusions. Il est confronté aux échos de la violence des événements auxquels il veut échapper. Cette séquence est comme un dévoilement de la complexité du monde, du double fond de la réalité : la réalité n'est jamais celle qu'on perçoit, il y a toujours une part d'opacité et d'insaisissable.
Ce qui devait être une parenthèse dans la vie du narrateur n'en sera finalement pas une : il y aura un avant et un après son séjour à A. Modiano parvient à inscrire fortement son imaginaire dans un récit fluide et marquant, remarquablement construit, qui impressionne par la grande force d'une atmosphère d'apparente apesanteur, traversée par de multiples failles et dangers.