Publié pendant l’entre deux-guerres, Voyage au bout de la nuit procure à son auteur une notoriété immédiate dans le monde littéraire et fait entrer le genre romanesque dans la modernité de son siècle.


Voyage au bout de la nuit est une transposition autobiographique romancée de la vie de Céline à travers son double littéraire Bardamu. Ceci permet à Céline d’exprimer son point de vue sur les grandes questions de son siècle en passant par ses expériences personnelles et en nous faisant voyager en Europe, en Afrique ou bien encore aux États-Unis.


Une fois qu’on y est, on y est bien.


Une des particularités de ce roman qui ne peut pas nous laisser indifférent c’est le style utilisé, on assiste en effet tout du long à une véritable oralité littéraire, usant de l’argot et d’expression populaires, l’objectif de Céline de par cette oralité est de provoquer des émotions plus directes et donc plus fortes chez le lecteur. J’ai trouvé cette oralité assez difficile à appréhender en début de lecture mais au final, en suivant le périple de Bardamu, on en vient à apprécier cette oralité qui en devient même lyrique.


Ce qui caractérise avant tout cette œuvre, c’est son personnage principal. Véritable antihéros, Bardamu est lâche, passif, il fuit tant qu’il peut les difficultés et fait preuve d’anticonformisme ce qui l’amène à porter un regard critique sur ce qu’il vit et donc de dénoncer ce à quoi il assiste.
Mais Voyage au bout de la nuit c’est aussi toute une fresque de personnages, nombreux et variés, que ce voyage nous permet de rencontrer. En passant par la patriotique Lola, le petit Bébert, l’émouvant Alcide, la douce Molly ou encore Robinson, le double maléfique de Bardamu, on découvre différentes mentalités de cette époque mouvementée, différentes histoires et différents parcours. Ces personnages servent à Bardamu pour faire le portrait d’une société misérable et médiocre.


Déjà notre paix hargneuse faisait dans la guerre même ses semences.


Tout au long de ce roman, Céline nous donne à voir les répercussions de la guerre sur Bardamu. L’expérience de celle-ci n’est qu’une petite partie du roman mais c’est pourtant elle qui va bouleverser tous les événements qui suivront. En effet Céline aborde les cas de syndrome de stress post-traumatique, conséquence de la guerre sur le long terme, et contredit alors l’image héroïque du soldat que diffusait la propagande patriotique. La guerre est ici condamnée par l’auteur, le combat et les pulsions de mort étant justifiés par l’héroïsme. Les valeurs sont alors inversées, l’héroïsme devient synonyme de folie et la lâcheté signe d’intelligence.


Peu importe le décor et le contexte, la société est toujours représentée de la même façon. La hiérarchie est symbolisée par des animaux, rappelant la loi du plus fort qui régit le système, mais aussi la chaîne alimentaire, les serpents mangeant les rats comme les dirigeants qui exploitent les employés. Partout où Bardamu passe, la misère est présente et c’est cette vision du monde qui l’entoure que Céline nous montre, une vision d’une grande laideur et ce peu importe où il se trouve car les Hommes sont tous les mêmes.


Ce voyage ressemble finalement à une longue insomnie, dans un monde bercé par la nuit, cette nuit qui est à la fois sombre et terrifiante mais aussi terre de rêves et de fantasmes. Bardamu erre dans celle-ci et c’est avec une certaine mélancolie que ce long périple se termine avec une envie que jamais le soleil ne se lève et que jamais ne s’arrête cette beauté misérable.


Œuvre passionnante et incontournable de la littérature, Voyage au bout de la nuit est un livre qui ne peut laisser indifférent.

Créée

le 27 sept. 2015

Critique lue 1.8K fois

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Mashiro

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