Oh ! Vous êtes donc tout à fait lâche, Ferdinand ! Vous êtes
répugnant comme un rat...
- Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans... Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi... Je
ne pleurniche pas dessus moi... Je la refuse tout net, avec tous les
hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec
elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout
seul, c'est eux qui ont tort, Lola, et c'est moi qui ai raison, parce
que je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir.



Enfin je l'ai eu le courage d'aborder ce qui est considéré, disons-le carrément, comme un des plus grands monuments de la littérature non seulement française mais aussi mondiale, j'ai mis le temps avant de me plonger dans ses 500 pages, beaucoup trop...


Louis-Ferdinand Céline est un type à la réputation très très sulfureuse, parce qu'il a dit tout plein de choses pas très gentilles sur les Juifs. Pourtant, son oeuvre est toujours là, bien en évidence dans les rayons des librairies. Et il n'est pas difficile de trouver des émissions et des documentaires sur lui. Et là, si à notre époque étouffant sous le politiquement correct, où on passe pour le chaînon manquant entre Adolf Hitler et Pol Pot si on ose critiquer une personne qui soit autre chose que blanc non juif ou Asiatique, on parle toujours de ses œuvres avec toujours autant d'admiration. Et si on parle toujours avec autant d'admiration de cette oeuvre c'est qu'elle doit sérieusement être exceptionnelle.



Le pire, c'est qu'on se demande comment le lendemain on trouvera assez
de forces pour continuer à faire ce qu'on a fait la veille ? Ou on
trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces milles projets qui
n'aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l'accablante
nécessité, tentatives qui toujours avortent et toutes pour aller se
convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu'il
faut retomber en bas de la muraille chaque soir, sous l'angoisse de ce
lendemain toujours plus précaire, toujours plus sordide.



Et elle est exceptionnelle. Il y a un style Céline, qu'on reconnaîtrait parmi des milliards d'autres, un style puissant qui griffonne avec une vigueur, qui semble dirigée par le cynisme et le désespoir ou le cynisme du désespoir, qui montre la vie telle qu'elle est réellement, avec sa puanteur, sa crasse (parfois avec malgré tout quelques instants de grâce avec une prostituée au grand cœur ou encore un officier des colonies cachant bien sa générosité qui pointent leur nez dans un océan de merde !), qui arrache le lecteur qui ne peut que lire avidement, avec répulsion, mais toujours avec fascination, avec un langage volontairement vulgaire, mais en même temps incroyablement riche.


C'est une oeuvre exceptionnelle à laquelle je ne fais pas honneur en me contentant juste d'énumérer des banalités dessus. Je préfère laisser plutôt parler le génie de l'écrivain, au lieu de continuer (la description de New-York notamment est sans conteste un de mes moments littéraires les plus forts !)...



Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c'était tellement
étonnant ce qu'on découvrait soudain que nous nous refusâmes d'abord à
y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les
choses, tout galérien qu'on était, on s'est mis à bien rigoler, en
voyant ça, droit devant nous... Figurez-vous qu'elle était debout leur
ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en
avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des
ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont
couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles
s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que
celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien
raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.


Plume231
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le 20 janv. 2016

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