À la ligne
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À la ligne

livre de Joseph Ponthus (2019)

Plus qu'un exercice complexe, À la ligne est un témoignage nécessaire, profondément politique.


Raconter l'usine, sa monotonie, sa marque sur les corps, les esprits, sa violence continue, omniprésente. Dire la fatigue, l'épuisement, l'effrayante routine. Voilà ce que fait si bien Joseph Ponthus. La forme est mise au service du fond dans un récit à la fois brutal et très touchant des conditions d'un ouvrier intérimaire qui représente, avec ces pages, une classe tout entière.


Cette fierté prolétaire, cette solidarité de classe, sont fréquemment évoquées, comme un rappel à la lutte revendiquée envers ces casques rouges hypocrites, ces patrons bien assis et à tous ces dominants responsables d'un tel carnage.


Il serait fort prétentieux d'affirmer que Joseph Ponthus nous "fait comprendre" ce qu'est la vie d'un intérimaire du travail à la chaine. Mais il parvient si bien à nous en approcher, à nous faire sentir les odeurs infects entre deux cafés clopes, à nous faire imaginer cette usine lugubre et sanguinolente et ce sommeil toujours trop court entre deux journées toujours trop longues.


Comment ne pas se rendre compte de l'omniprésente violence de cet univers si proche de nous et si peu décrit. Charges lourdes, odorat maltraité, horaires inhumaines, pressions hiérarchiques comme autant de cauchemars qui feront de la vie de l'ouvrier un calvaire.


Je suis d'ailleurs mal à l'aise quand je lis certaines personnes romantiser ces écrits sur l'horreur de l'usine pour les mettre en perspective avec les passages sur la littérature et la musique dont Joseph Ponthus parsème le livre. Je n'y vois là qu'une manière de s'accrocher à ce qu'il aime, ce qui l'anime, tout comme quand il pense à sa femme. Il n'y a pas de place pour une romantisation de cet ouvrier qu'est Joseph au prétexte de son amour des lettres et des harmonies. À part pour un journaliste du Figaro évidemment.


Car si ce livre présente un défaut majeur, qu'est le langage problématique utilisé à plusieurs reprises ("mongolitos", "pédés", "salope", etc.) sous le mauvais prétexte d'un parlé populaire, il n'est aucunement un matériau visant à singulariser l'expérience prolétaire derrière ce personnage du lettré devenu intérimaire.


Au contraire, Joseph Ponthus parvient à rendre compte de la situation terrible dans laquelle le système de production capitaliste plonge les plus dominé·e·s et des différentes conséquences physiques et mentales de ce paradigme sur lui même, sur sa femme, sa mère mais plus encore sur tous les prolétaires que compte cette planète et dont la vie et celles de leurs proches ne doit pas être très éloignée des expériences décrites dans cet excellent livre.

8,5/10



Evan-Risch
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le 3 mai 2024

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