Abîmes
5.7
Abîmes

livre de Sonja Delzongle (2022)

« J’ai été emporté par une avalanche, elle a couvert mon âme… »

Un petit avion de tourisme s’écrase dans la haute montagne des Pyrénées : le couple à bord s’est suicidé pour échapper à la justice… ou pire. Le crash provoque une avalanche qui emporte un groupe d’enfants en randonnée. Tous appartiennent à un village en contrebas, et la vie des habitants bascule. 20 ans plus tard, alors que le fils du couple suicidaire revient au village comme gendarme, de menaçants bonhommes de neige font leur apparition. Et à partir de là, tout va partir en vrille, ou plutôt en dérapage incontrôlé sur la neige et la glace des Hautes Pyrénées…


Car, à chaque chapitre, ou presque, et ils sont courts et nombreux, Sonja Delzongle nous offre une mort violente : meurtres, règlements de compte, accidents, la durée de vie des très nombreux personnages de "Abîmes" n’excède parfois guère les quelques pages : à peine avons-nous eu le temps de faire leur connaissance, d’être intrigués, que les voilà passés l’arme à gauche. L’effet est assez saisissant, le sentiment de violence et de danger est omniprésent, et le lecteur tourne les pages à toute vitesse, ce qui est bien ce qu’on demande à un bon thriller, non ?


A la fin, après moult péripéties haletantes, une multitude de twists et de révélations sur les identités des uns et des autres, après que nos soupçons se sont portés tour à tour sur une dizaine de personnages au comportement suspect, les coupables sont révélés, bien sûr. On ne peut dire qu’il s’agisse d’une surprise, dans la mesure où nous les connaissons très peu (tous les protagonistes que nous avons un peu connus sont morts !), mais il faut reconnaître que, du point de vue logique et cohérence, l’histoire hyper-compliquée montée par Sonja Delzongle tient la route… Au point qu’on a presque envie de relire immédiatement "Abîmes" pour vérifier si on a bien compris toute l’architecture du drame.


"Abîmes" est donc un thriller comme le lecteur actuel en attend, et il est difficile de lui reprocher un quelconque manque d’efficacité. Mieux encore, la description de la montagne, de la neige, des avalanches, des multiples périls qui attendent dans cet univers rude le voyageur imprudent et inexpérimenté est saisissante. Et constitue sans doute le meilleur du talent d’une romancière qui sait créer un environnement fort, et transporter son lecteur en dehors de son quotidien.


Ce qui ne veut pas dire, malheureusement, que "Abîmes" ne pose pas quelques problèmes : d’abord, la vision que Delzongle a des habitants des lieux est tellement radicale qu’elle en deviendrait presque offensante : voilà un beau ramassis d’êtres incultes, brutaux, vivant quasiment dans la sauvagerie, superstitieux, accrochés aux traditions ancestrales sans évolution possible, et surtout pédophiles, violeurs, prompts à s’entretuer à la moindre occasion. On sait la liberté que l’écrivain a le droit de prendre avec la réalité pour que fonctionne sa fiction, mais on se dit aussi que trop, c’est quand même trop.


Cette tendance à l’excès – de violence, de personnages, de péripéties – est d’ailleurs la caractéristique la plus frappante chez Delzongle : "Abîmes" nous emporte, nous balaie comme le ferait une avalanche. Et il faut bien dire que cette avalanche-là nous a aussi refroidis. Glacés même.


[Critique écrite en 1982]

Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/05/20/abimes-de-sonja-delzongle-un-thriller-dune-efficacite-redoutable/

EricDebarnot
5
Écrit par

Créée

le 26 mai 2022

Critique lue 79 fois

2 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 79 fois

2

D'autres avis sur Abîmes

Abîmes
AtefAttia
1

Critique de Abîmes par Atef Attia

Avec Abimes, Sonja Delzongle a inventé le concept du roman infini : pour chaque arc narratif que vous découvrez, trois autres se créent quelques pages plus loin, qui à leur tout en créeront trois...

le 27 déc. 2023

Abîmes
Linkyo
4

Absurde

Ça démarrait super bien puis très rapidement ça part en du grand n’importe quoi. Est ce si compliqué de faire un polar réaliste? L’intrigue initiale est top pourtant mais rebondissement sur...

le 4 sept. 2023

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

102

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

183 j'aime

25