Aden Arabie
7.4
Aden Arabie

livre de Paul Nizan (1931)

Il ne faut pas attendre d'Aden Arabie un récit de voyage ; on pourrait presque le qualifier d'anti-récit de voyage, ou même de récit de retour. Comme Homère, Nizan fait le récit d'une boucle (les allusions à l'Odyssée ne manquent d'ailleurs pas). Parti d'une France malade décrite dans le premier chapitre, il y revient dans le dernier. Entre temps, toutefois, Aden l'a décillé. Rien à voir avec une découverte poétique ; bien que Nizan cède de temps à autres à un ornement, son séjour lui a surtout révélé le cynisme de l'exploitation du monde moderne, capitaliste et impérialiste : “Orient, sous tes arbres à palmes des poésies, je ne trouve encore qu’une autre souffrance des hommes.”


Aden Arabie est un livre profondément corrosif—et pas dans le sens facile et galvaudé des chroniques d'aujourd'hui. Tout le projet du livre, profondément nihiliste, est de rompre tous les charmes du monde moderne : Nizan abat tour à tour la culture, la bourgeoisie, les honneurs, la Nation. Ici et là affleurent sous ce refus politique un refus métaphysique. Pourtant, Nizan tient à conclure son bref opus par un appel à l'engagement, registre dans lequel il se meut avec moins de talent que dans la pure négation.


Reste un mot à dire sur le style, de très haut vol pendant cent pages, serré, condensé, marchant sans cesse (et, à mon sens, sans beaucoup de faux pas) sur le fil étroit qui sépare la poésie du kitsch. Un livre aux allures d'air des cimes.


Une citation : « Leur monde est magique. Le jour où ces gens tiennent entre les mains un pouvoir timbré, un titre vert, ils participent à la nature mystique d’un être qui n’existe pas. Ils absorbent leur hostie de capital.
Ils ne sont pas. Ils sont conduits par le démon de l’abstraction. Qu’est-ce qu’ils pensent ? Qu’est-ce qui les pense ? États civils, catalogues. Riches en étiquettes comme une vieille valise de voyageur. Dans les solides réguliers de leurs chambres, ils mettent sous clefs tous leurs répertoires de signes et d’emblèmes, pour dormir d’un sommeil tranquille : un livret de mariage, un livret militaire, une carte d’électeur, et l’écume de papier que laisse la circulation de l’argent dans les maisons des hommes. »

Venantius
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lu en 2015

Créée

le 10 oct. 2015

Critique lue 549 fois

1 j'aime

Venantius

Écrit par

Critique lue 549 fois

1

D'autres avis sur Aden Arabie

Aden Arabie
khms
9

Le désert est partout

Après l'avoir découvert par le biais de son célèbre pamphlet, Les Chiens de Garde, j'ai depuis nourri l'envie d'en découvrir plus sur ce petit-bourgeois révolté, démissionnaire du PCF, ce Paul Nizan,...

Par

le 5 juil. 2017

7 j'aime

Aden Arabie
Camille_Camille
8

Ni Paul Nizan

Oui c’est à la fin qu’il rétablit une lutte de classes de pantins, qu’il érige d’ailleurs sur une scène de théâtre avec les figures forcément caricaturales du banquier et de l’ouvrier. Mais tout au...

le 12 déc. 2017

5 j'aime

Aden Arabie
FuligineuxNympheas
8

Le désert en l'homme

Ce court récit s’est retrouvé entre mes mains par hasard : on me l’a conseillé, ses premiers mots (« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. ») faisant...

le 13 juin 2022

2 j'aime

Du même critique

Middlemarch
Venantius
8

Cinq mariages et un enterrement

Middlemarch est à la fois intimidant par son volume, et étonnamment simple malgré lui. Son millier de pages n’est pas prétexte à la multiplication des personnages — bien que le dramatis personae de...

le 4 avr. 2020

9 j'aime

3

Mémoires d'outre-tombe
Venantius
8

L'Albatros

François-René de Chateaubriand avait les défauts de son époque : une vanité peu croyable, qui dispose aux grandes entreprises mais prête aussi à rire, notamment lorsqu’elle s’abrite quelques instants...

le 9 déc. 2019

9 j'aime

3

Le Hussard sur le toit
Venantius
5

Critique de Le Hussard sur le toit par Venantius

Je le confesse, j’ai eu quelques difficultés à commencer et à finir Le Hussard sur le toit. L’écriture est très belle, parfois sublime (il y a quelques passages qui frôlent la poésie en prose) ; le...

le 27 déc. 2015

9 j'aime