Alamut
7.9
Alamut

livre de Vladimir Bartol (1938)

"Le Coran est le produit de cerveaux dérangés."

"Donc nous ne croyons en rien, et nous pouvons tout faire".

J'avais songé à démarrer ma critique avec le dicton de ce roman, Alamut : "rien n'est vrai, tout est permis". Premièrement, je n'étais pas la seule à avoir songé à un tel titre. Deuxièmement, le parallèle avec Assassin's Creed devient beaucoup trop évident, même s'il existe puisque les créateurs du jeu ont affirmé s'être directement inspirés de Alamut pour concevoir le scénario de Assassin's Creed. Et enfin, à la réflexion, le titre actuel de cette critique est la citation qui m'a le plus frappé par son contenu profondément nihiliste. Amoral.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ce roman est véritablement génial. Admirable. Puissant. Et anticipateur. Alamut, écrit par Vladimir Bartol, à la fois écrivain donc, passionné de philosophie et de biologie reprend une légende contée par Marco Polo à son retour de voyage : au nord de l'Iran, à la fin du XIème siècle se situerait une forteresse toute particulière, Alamut, dirigée d'une main de fer par un certain Hassan Ibn Sabbâh qui grâce aux assassins sous sa coupe terrorise les plus grands de la région, et bien au-delà encore. Cette forteresse permettrait également à ses élus d'accéder aux délices du paradis, peuplé de houris à l'apparence virginale. Ne cherchez plus Alamut aujourd'hui, il paraît qu'il ne reste plus que des ruines suite à un tremblement de terre survenu en 2004. Mais revenons à nos moutons.

Pour résumer la chose en une phrase : Marco Polo créa la légende, Vladimir Bartol l'amplifia à travers le roman éponyme et Assasin's Creed la popularisa, en s'attachant essentiellement aux assassins en eux-mêmes. Vous allez me dire, pour un jeu vidéo, c'est plus fun de jouer du poignard à travers un type surpuissant face à une intelligence artificielle assez stupide. Alamut ne se contente pas de se focaliser sur les assassins. C'est même, comme la citation le montre plus haut beaucoup plus complexe, et visionnaire en quelque sorte de ce que l'on peut voir aujourd'hui.

En 1092 donc. Le lecteur suit dès l'ouverture du roman deux groupes distincts à la forteresse d'Alamut : une jeune fille, Halima, ancienne esclave rachetée et placée parmi d'autres filles toutes aussi jolies les unes que les autres qui suivent de jour en jour différents cours visant à faire d'elles des parfaites concubines de harem. Cours de musique, de versification, de séduction, de couture, et autres. L'autre groupe, composé exclusivement de garçons voit l'arrivée d'un nouveau venu, Ibn Tahir, dont le père rattaché idéologiquement à la doctrine ismaëlienne a choisi d'envoyer son fils à la forteresse pour faire de lui un homme. Ici, la vie se veut plus dure, le but étant de faire de ces jeunes hommes des fedayin, à terme, de véritables assassins pour une noble cause, celle de la "vraie" doctrine, des "vrais" croyants, des "vrais" tout ce que vous voulez. Apprentissage du Coran, cours où chacun doit être capable de retenir sa respiration au point de s'évanouir, et s'il le faut, de mourir sur commande. Parce qu'il s'agit bien de ce que recherche le dirigeant d'Alamut, au dessus de ces deux groupes : créer des hommes capables de mourir sur commande pour une cause dont ils ne comprennent finalement pas les fondements autres que ceux illusoires qu'on veut bien leur laisser, et si possible, mourir, avec le sourire aux lèvres, à l'idée de la promise d'un paradis peuplé de jeunes femmes se donnant toutes entières.

Vladimir Bartol réussit l'exploit double de nous surprendre à un niveau scénaristique (Bien avant Georges Martin, oui, il y avait des auteurs qui n'hésitaient pas à faire crever leurs personnages sans concession) tout en nous immergeant profondément dans une culture qui demeure peu connue par nous autres occidentaux, moi la première. A cela s'ajoute une absence totale de jugement moral de la part de l'auteur sur l'histoire écrite, de longues pages avec moult pérégrinations philosophiques, politiques enrichissantes et jamais superficielles. En somme, la chose mériterait d'être plus connue.

Enfin, je m'attarderai sur un aspect de l'histoire, les fedayin. Ce sont littéralement les ancêtres des djihadistes, des aspirants au suicide en échange d'une étiquette de martyr, de la promesse du paradis. Hassan, calculateur, planificateur de nos deux groupes (d'un côté les assassins wannabe, d'un autre les concubines houris) part d'un constat simple : faisons en sorte d'avoir sous notre coupe des êtres surpuissants, qui nous sont dévoués entièrement. Pour cela, une carotte doit leur être offerte. Quoi de mieux que de leur montrer un paradis réel en leur faisant ensuite croire qu'à la mort ils y accéderont sans détour ? Grâce à la dépendance créée chez les assassins par la drogue, le haschich, et l'illusion d'un eden verdoyant, Hassan planifie rien de moins que le renversement du pouvoir en place, sans convoquer pour autant une armée conséquente.

Cerise sur le gâteau : on pourrait croire que notre dirigeant impitoyable se bat pour une cause noble, l'amour, la religion, tout ce que l'on veut. Mais il n'en est rien, puisque "rien n'est vrai, tout est permis". Ce dirigeant, ne croyant en rien ne craint rien, poussant son système implacable jusqu'à son paroxysme pour attendre finalement une vérité divine venant le foudroyer sur place, quand en réalité, il ne se passe rien, sauf pour les crédules. Et puisqu'il n'y a aucun Dieu, aucun prophète, il n'y a aucun règlement divin, aucune règle quelle qu'elle soit, donc un champ d'actions aussi large que diverses, aucune notion de bien ou de mal. Juste d'intérêt propre à chacun.

N'importe quel fanatique devrait lire ce livre. N'importe qui, en fait.
-Ether
9
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le 10 août 2014

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-Ether

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