Incontournable Novembre 2022


J'ai eu l'occasion de constater la jolie plume et la qualité des univers fantasy élaborés par Estelle Faye avec son court roman "Il était ma légende", paru aux mêmes éditions pour la collection Court Toujours, et "L'arpenteuse de rêves", aux éditions Rageot. Je m'étais fait la réflexion que les romans Fantasy sont très rarement courts, en littérature jeunesse, mais que cela gagnerait à se faire, les lecteurs n'étant pas tous des amateurs de pavés en papier. Ici, c'est ce que nous avons: un premier tome pour un représentant de la littérature intermédiaire, de 125 pages, qui présente un univers inspiré des pays arabes et de l'univers maritime.


Nour, six ans, vit avec sa famille dans le palais du Calife ( souverain musulman) où sa mère est archiviste, son père jardinier renommé. Il y a également son grand frère, Kassem, qui s'inquiète de ne pas pouvoir aller voir sa soeur, ce jour là. Dans les murs du palais se murmurent des rumeurs de malédiction sur une petite fille. L'attitude des parents de Kassem et Nour ne rassure en rien le jeune homme. Quand il se rend compte qu'on tente de faire disparaitre sa petite soeur subtilement sous le couvert de la nuit, Kassem décide de suivre les hommes qui escorte la petite fille dans la ville. Alors qu'il comprend que sa soeur sera évacuée par la voie maritime, il se fait surprendre par des voyous, qui en ont après le bracelet en forme de serpent qu'il porte au poignet. Heureusement, une Delfienne, Élissa, intervient en sa faveur.Les Delfiens sont une peuplade fort réputée pour ses navigateurs, qui possèdent leur propre mode vestimentaire et passent leur vie sur les mers, en nomades. Élissa sauve la mise du jeune homme, en espérant pouvoir toucher une prime pour le ramener sain et sauf chez lui, en bon petit bourgeois égaré qu'elle voit en lui. Néanmoins, quand elle est instruite de la situation de Kassem, Élissa accepte de le loger sur le navire de son capitaine pour la nuit. Éventuellement, Kassem réussit à convaincre le capitaine de le mener à l'île où sont tenus les gens victimes de la malédiction, mais quand il retrouve Nour, Kassem sait qu'il ne pourra pas la laisser là, comme l'exige la Loi. Troquant son bracelet précieux contre leur droit de passage sur le navire, après avoir échappé de justesse aux soldats qui les pourchassaient (sans doute pour avoir délogé une personne de l'île) Kassem atterrit dans un port avec l'équipage. Là, dans une librairie, Kassem découvre un ouvrage étonnant, qui semble avoir été rescapé de la mer. Un ouvrage qui, selon le libraire, proviendrait d'Arcadia, où siègerait une formidable bibliothèques de livres noyés, et du coup, d'un potentiel de savoir immense. Un savoir qui pourrait peut-être venir à bout de la malédiction de Nour, cette même malédiction qui lui fait pousser des écailles doré sur la peau, lui fait entendre des appels venus de la mer et lui permet de solliciter l'aide des vagues. La principal concernée, cependant, ne semble pas tant y voir là une "malédiction".


C'est un récit d'aventure qui a aussi des accents de quête initiatique. Kassem et Nour n'ont jamais quitté le palais et les voilà embarqué sur un navire pour une ile que personne ne peut trouver. Sauf Élissa, navigatrice de son état. C'est une histoire exotique, forcément, avec ses inspirations moyen-orientale, mais également folklorique, avec la présence de cette malédiction qui rappelle fortement le peuple des sirènes. Je dirais que l'histoire est passionnante, mais un peu expéditive également. J'ai du mal à lui reprocher, ceci-dit, précisément parce que je trouve les récits fantasy toujours trop long pour le jeune lectorat intermédiaire. Et puis, le roman jouit d'une indubitable force avec ses illustrations.


Les illustrations sont signées Sanoe, qui nous a donné les splendides paysages et personnages du roman de Michael Brun-Arnaud "Les Mémoires de la forêt", paru à l'École des Loisirs ( que je vous invite à lire, c'est de toute beauté). En noir et blanc, elles contribuent beaucoup au côté exotique du récit, avec les paysages bien sur, mais aussi la culture et les costumes présentés. On se fait une idée beaucoup plus nette de cet univers imaginaire. C'est aussi agréable de voir l'ethnie arabe de Kassem et Nour, ainsi que la silhouette arrondie d'Élissa. Je suis toujours ravie de voir des représentations minoritaires avoir enfin de la place en littérature jeunesse.


Dans leur traitement, les personnages ne sont pas stéréotypés. Kassem est un garçon tranquille, curieux et pragmatique. Il a un lien très fort avec sa petite soeur et n'hésite pas à suivre son instinct quand il la voit en danger. C'est donc un "héro" loyal et d'une douceur fort agréable. Nour a beau avoir six ans, elle a de l'esprit et se montre réactive. C'est une petite fille alerte et courageuse, qui n'a rien de la demoiselle en détresse. Nour aspire à connaître l'océan, ce qui concorde étrangement bien avec son étrange mutation. On en saura sans doute plus dans les tomes suivants. Élissa, enfin, est un personnage cartésien, stoïque et pratique. Elle prend des décisions rationnelles, parfois un peu froides, mais elle a bon fond. C'est une femme qui veut l'aventure, non pas la richesse ou le prestige. Je la trouve vraiment charmante sur les illustrations. Je remarque, enfin, que ce sont les personnages féminins qui sauvent les fesses des personnages masculins, pour une fois- hormis le fait que Kassem a sauvé Nour de son île.


Certains détails m'ont amusés, comme le nom de "Delfiens", pour ces nomades de la mer vêtus de bleu. Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire, le "bleu de Dleft" n'est pas le bleu à proprement parler, mais bien la poterie produite dans la ville de Delft, qui est majoritairement bleue sur fond blanc. Les "trois épreuves" d'Arcadia m'amusent aussi: c'est toujours à coup de trois que les héros subissent des épreuves! Finalement, toutes ses aventures maritimes m'ont fait penser au manga One Piece et à l'odyssée d"Homer.


(À partir d'ici la critique peut contenir des divulgâches - et des aventures en haute mer)


Il y a de bonnes inspirations dans cette histoire et le potentiel de suites est bien présente. L'idée de faire côtoyer le monde terrestre à la mer, un peu à la façon de Pirates des Caraibes, avec ces livres "noyés" et ce prélude à l'apprentissage d'un futur bibliothécaire pour Arcadia sont autant d'axes intéressants. Bon, Nour est partie vraiment très vite, ça avait quelque chose de choquant même, mais la suite laisse présager que frère terrestre et soeur aquatique sont appelés à se revoir et peut-être explorer le monde en parallèle l'un de l'autre.


Rapidement, je constate que le traitement de la violence est aussi différent que ce que je vois d'habitude. Ruses, diplomatie, réflexion, les moyens employés pour déjouer la violence sont variés. Les épreuves sont non-violentes et la condamne, même. le Fantasy tombe souvent dans le combat et les sujets violents physiquement, mais ici, je sens une tendance différente. J'apprécie que l'esprit soit davantage employée que les poings.


Côté plume, c'est bien écrit, les phrases sont relativement courtes, mais elles sont variées et fluides, avec un vocabulaire plutôt riche pour ce niveau d'âge de lectorat. Je note également que nous avons souvent une fenêtre sur l'état psychologique de Kassem, notre principal protagoniste. C'est toujours intéressant d'avoir cette dimension, car cela nous rapproche du personnage et rend le tout bien plus vivant.


Je pense que ce petit roman sort des standards les plus souvent réutilisés en Fantasy jeunesse, ce qui est très louable. Avoir de personnages arabes est aussi formidable. Et comme j'ai une nette recrudescence du jeune lectorat féminin pour les sirènes en ce moment, je pense que ce ne sera pas difficile de trouver des Lectrices/Lecteurs à ce premier tome. Bref, une sympathique découverte!


Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans+.

Shaynning

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