Sur la recommandation de Dimitricycle, je me suis lancé dansla première des trilogies de R. Scott Bakker. Au stade où j'en suis - les deux tiers du second tome - je suis très très loin de le regretter.

Je m'essaie au texte Anglais. C'est du niveau d'un texte de Tolkien, donc sans grande difficulté pour le lecteur qui aurait déjà affront le grand ancêtre. Grand ancêtre assurément : R. Scott Bakker est nourri de Dungeons & Dragons - le monde qu'il décrit est issu des campagnes qu'il a été amené à bâtir, en bon maître de jeu dégoûté par l'indigence des scénarios commercialisés - Dragonlance excepté, peut-être, c'est à voir. On y retrouve des elfes (non-men), de la magie à profusion, et toutes les classes de personnages propres à faire une bonne campagne.

Plus largement, "The Darkness that comes before" propose un univers de collages. où les scythes (à moins que ce ne soient les Indiens des plaines) se le disputent aux guerriers teutoniques et chrétiens, aux subtilités de l'Emipre byzantin, à moins qu'il ne fût Perse, aux grands potentats arabe et à l'Egyptle nilotique - les allusions sont à peine voilées. Les religions ne sont guère plus complexes, et là où l'Inrithisme est un décalque semi-polythéiste de christianisme (cf. INRI), les fanims sont musulman et croient en un Dieu unique. La magie et ses écoles n'y échappent pas. Nourries des philosophes, elle répartit les grande traditions en écoles de magie plus ou moins puissantes ou spécialisées, sur la base de noms issus du Grec. Les Anagogiques ne peuvent lancer de sort que sur la base d'associations métaphoriques, là où les détenteurs de la Gnosis ont accès aux essence même des forces qu'ils manipulent. On peut même penser que les tenants de la Psukhè,magiciens aveugles, oeuvrent par les forces de l'esprit, tandis que les tenant de l'antique Techné savaient, monstrueusement, déformer la matière vivante pour lui donner la forme souhaitée. Et il y a même enfin l'étrange savoir des Dûnyans, le Logos (dunya, en Arabe : l'ici-bas : les dunyans ne croient pas à la magie mais à la loi de l'avant et l'après, nous dirions de la cause et de l'effet), sortes de moines... aristotélo-bouddhistes, aptes à connaître les causes et conséquences depuis le sans-cause qu'est... l'obscurité pré-venante - pour faire du Heidegger. Il ne m'étonnerait pas par ailleurs que les Dûnyans soient issus plus lointainement du Bene Gesserit, avec les soeurs duquel ils partagent bien des traits - savoir génétique mis à part.

Tout cela n'irait pas plus loin que l'anecdote, si Bakker ne savait nouer ses intrigues et prendre son temps tant avec les événements que ses personnages. La narration n'est pas toujours vive, elle est même parfois assez inégale, comme si l'auteur aimait à se faire plaisir en pastichant les récits guerriers qu'on trouve dans l'épopée, ou les remus intérieurs que les événements font sur ses personnages. Et pour une fois, cela prend ! On est bien loin des pages insipides d'Eddigns (j'ai détesté tant la Belgariade que la Mallorée). Il est vrai que, pour une fois, c'est un récit pour adulte, sombre, graphique, tourmenté et parfois... couillu. Pour une fois, les récits de séduction et de sexe ne tombent pas à plat et servent l'intrigue, c'est assez rare dans ce genre pour qu'on le note.

Les événements se suivent avec une grande rigueur : pas d'absurdes dei ex machina, pas d'exotisme - passage obligé où le héros tue une dragon, ça fait une jolie scène (le seul qui se tire bien de ce genre là est Tolkien, dont le SdA est fait_ de ce genre de passages, mais avec une telle vitalité de l'imaginaire mythopoiétique qu'on en finit par l'oublier). Non, la narration de Bakker, si elle n'a pas la rigueur paranoïde d'un Alan Moore, reste ordonnée à une exigence de plausibilité, étant données ses axiomes de base - l'état du monde et la personnalité des acteurs qu'il y fait vivre.

On trouvera pas mal à grignoter sur les prophéties auto-réalisantes, sur la nature même du prophétisme et du religieux, sur ce qui lie les hommes, sur ce qui les rend sensibles ou non à la manipulation, sur les causes de la souffrance - mais pas sur les moyens de la supprimer ! -, sur le pouvoir et le moyen de l'obtenir et de l'augmenter, etc.Rien certes d'aussi dense que chez F. Herbert, mais largement au-dessus de ce qu'on trouve ordinairement dans les littératures de l'imaginaire en général.

Je regretterai sans doute que les personnages féminins restent réduites, aussi intelligentes soient-elles, à la courtisane et à la prostituée : pas de magicienne, pas de guerrière, pas de prêtresse. Si ce sont femmes inteligentes et parfois retorses, elles n'en restent pas moins objets du fantasmes d'un amateur de récit Gros-Barbare-et-Belles-Pouliches - certaines scènes semblent parfaitement dérivées des illustrations que Conan a suscité. La femme est émotive, l'homme se contrôle plus, sauf le sensible Achamian, qui connut un amant en son adolescence - les clichés ont la vie dure. Et l'on aimerait bien encore que certains héros fussent laids.

Je regretterai aussi que Bakker ne sache peindre au fond qu'un monde de dupes et de haines. En cela, Le Dit de la Terre Plate, de Tanith Lee, dans un tout autre genre, reste supérieur, tant par l'imagination, la poésie, que la variété des émotions dépeinte. D'où mon 8, qui est un 8+, et reste tout de même... fort honorable : il y a longtemps que je n'ai pas lu quelque chose d'aussi bien en fantasy.
Kliban
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le 24 avr. 2012

Modifiée

le 30 juil. 2012

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