Un secret est un des nombreux passagers clandestin qui se blottit parmi nos souvenirs.

Qu'est-ce qu'une vie, si ce n'est une succession de souvenirs. Souvenirs que l'on peut lier à des expériences. Que se passe-t-il quand cette faculté de lier les souvenirs fait défaut ? Quand ce que vous avez fait la veille ne peut plus être lié à votre expérience puisque vous ne pouvez pas vous en souvenir ? Quel est le point commun entre un secret et un souvenir ?

secret --> caché --> clandestin --> enfermé --> furtif --> intime --> souvenir <-- intime <-- furtif <-- enfermé <-- clandestin <-- caché <-- secret

Sur ses bases nous allons découvrir dans Avant d'aller dormir que le pire pour l'héroïne, Christine, peut autant se cacher dans ce qu'elle va découvrir de son passé via son cahier que dans ce que le présent et le proche futur lui réserve ...

Avec ce carnet qui va lui servir de guide, elle va enquêter sur son propre passé, sur sa propre vie. Sa personnalité prend corps au fil des pages qu'elle tourne. À la fois en tant qu'individu et en tant que personnage de fiction. Ce support lui permet de verbaliser le savoir qu'elle engrange au fur et à mesure. C'est le livre dans le livre. Puisque c'est aussi de cette manière que le lecteur découvre la personnalité de Christine. C'est comme cela qu'il va avoir de l'empathie pour elle. Qu'ils s'incarnent même. Personnage et lecteur.

L'auteur part d'une base assez intéressante. En règle générale, dans un roman, un écrivain va utiliser à un moment donné un levier qui rafraichit la mémoire de son lecteur. Il va trouver une astuce narrative pour pouvoir introduire ce passage dans son histoire. Steve Watson va consacrer la totalité de son roman à jouer avec ce processus. Il va doublement y travailler puisqu'en rafraichissant la mémoire de son lecteur, il en fait de même avec son personnage. Comme l'héroïne, vous aller lire et poser le livre. Vous allez vous replonger dans sa lecture et reprendre l'histoire où vous l'aviez laissé. Vous allez de nouveau actionner la machine à souvenirs et à secrets.

Un roman nait véritablement quand il grandi peu à peu dans l'imagination de son lecteur. Ce sont les confidences successives que vous révèlent un romancier qui vont vous aider à construire les souvenirs que vous allez engranger de la première à la dernière page.

Chacune des phases oubli/souvenir/oubli sont autant de cycles que de doubles de l'héroïne. Le concept du jour sans fin qui se répète à l'infinie. D'autres vies, d'autres expériences, qui ne sont liés entre elles que part le souvenir, que par le cahier, donc. Comme si ces vies alternatives représentées une autre facette de ce qu'elle est actuellement. Sa perte de mémoire la prive de racines. Et c'est avec les mots qu'elle inscrit jour après jour dans son carnet, qu'elle va pouvoir s'encrer de nouveau dans la réalité. Et donc quitter peu à peu « sa » réalité.

C'est ce qui est fascinant dans ce livre. Steve J. Watson joue autant avec sa création qu'avec son lecteur. Les codes de l'écriture se mêlent aux éléments de son intrigue. L'outil de l'écrivain devient celui de son personnage. Comme dans l'Homme qui disparaît de Jeffery Deaver, quand ce dernier utilise la prestidigitation pour « armer » l'ennemi qui affronte ses personnages récurrents et pour balader son lecteur. Le romancier devenant à son tour prestidigitateur.

L'héroïne est lectrice de sa propre vie. Elle est également la narratrice de cette histoire. À la fois actrice et spectatrice. À la fois celle qui crée ses souvenirs et celle qui les détruits la nuit venue. Elle est quotidiennement son pire ennemi. Sauf quand elle commence à se poser des questions...

Je suis content d'avoir eu l'occasion de relire une traduction de Sophie Aslanides, qui n'est certainement pas étrangère à la qualité des rouages de cet belle mécanique qu'est le roman de Steve Watson.

Steve J. Watson n'est pas le premier à jouer sur le thème de la perte de la mémoire. Au cinéma, pour n'en citer que deux, il y a eu Memento de Christopher Nolan et Troubles de Wolfgang Petersen. En littérature, impossible de ne pas citer Hématome de Maud Mayeras, La Mémoire Fantôme de Franck Thilliez et plus récemment Enquête sur la disparition d'Emilie Brunet par Antoine Bello (que je n'ai pas encore lu).
Et pour le côté « répétitif », je vous conseille le film Un jour sans fin de Harold Ramis et les roman Replay de Ken Grimwood et L'anneau de Moebius de Franck Thilliez.

En ce qui concerne la conclusion de ce roman, je suis resté un peu sonné. D'un côté par les révélations assez surprenante que l'on découvre en même temps que l'héroïne. Et de l'autre par l'étrange sensation de « déjà lu ». J'évoque rarement des éléments de l'intrigue dans les chroniques que je publie mais je vais un peu empiéter sur cette règle pour donner mes impressions durant la lecture des dernières pages du livre. Je vous invite donc à ne pas lire ce qui va suivre, si vous ne voulez pas être influencé par ce que je vais aborder, même si je m'efforce de ne pas faire de révélations.

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Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la fin d'un excellent thriller français que j'ai lu il y a quelques années de cela. C'est très probablement le fruit du hasard mais il faut reconnaître que si ce roman français était sorti après le livre de SJ Watson, j'aurai été le premier à me poser des questions sur les sources d'inspiration du dit-auteur. Impossible de ne pas lier les deux histoires quand on les connait. Je suis donc curieux de lire les réactions des autres lecteurs et lectrices à ce sujet.

Frédéric Fontès www.4decouv.com
Fredo
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le 20 mai 2011

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