Troisième virée avec ce bon vieux Robicheaux: dépaysement en perspective, puisqu'on va quitter sur la moitié du roman la Louisiane chérie par Burke pour les grands espaces à ciel haut du Montana. Pari risqué, tant les atmosphères de bayou participent aux charmes des oeuvres de la saga Robicheaux.


Si les deux premières oeuvres traversaient le champ de la littérature à-travers des thèmes aussi lourds que l'alcoolisme, la responsabilité ou l'innocence; autant dire qu'avec "Black Cherry Blues" on ne se dirige pas vers la légèreté. Avec toute la fougue et l'orgueil qu'on connait au personnage, Robicheaux commet de nouveaux de lourdes erreurs aux conséquences plus catastrophiques que jamais. Ah! on n'enlèvera jamais à Dave sa jugeotte, son "gut feeling", parce que de l'instinct, il en a à revendre. Il ne se trompe que rarement sur ses interlocuteurs, et trie le bon grain de l'ivraie en un coup d'oeil.
Mais voilà le problème: en voulant aider un vieux copain, Dixie, il va aussi plonger à-travers des strates successives d'ombres et de souffrance pour finir étouffé de cette terre viciée des caïds. Et de se faire piéger, enterré vivant: le piège se referme sur notre héros bancal, et le voilà inculpé pour homicide volontaire avec tous les détails focalisant sur lui comme unique coupable. Et c'est ainsi que finit, encore une fois, le quotidien paisible de loueur de barque, avec ses truites grillées au barbecue avec Batist et Alafair, son ami "nègre" de toujours et sa fille adoptive.


C'est lorsqu'on imagine tout perdre qu'on mesure la préciosité des petites choses, et Dave Robicheaux le réalisera d'une manière terrible. Une chose est absolument bien retranscrite par Burke: c'est l'impasse. L'imminence de la condamnation et l'absence totale d'espoir dominent ici tout le récit: la narration est sous tension, les actes de plus en plus désespérés et les choix de Robicheaux de plus en plus douteux. En comparaison aux deux premiers tomes, l'adhérence du lecteur pour le personnage-phare est ici imparfaite. Et bien souvent au cours de ma lecture, je me suis démarqué des choix de Dave, en désaccord avec son mode d'action ou ses sentiments. Loin de plomber le récit, cela rajoute une nouvelle richesse à un personnage qui restera pour moi une très belle création.


Il y a néanmoins dans ce roman bien plus de défauts que dans les premiers opus. Si j'ai adoré, comme toujours, plonger dans les hantises de Dave personnalisées cette fois-ci par des spectres aquatiques, force est de constater que dans ce roman, c'est long. La partie du récit se déroulant au Montana, si elle apporte une certaine fraîcheur à la saga, est tout de même assez laborieuse. Cela est particulièrement appuyé par le fait que l'intrigue illustre un cul-de-sac. Dave est dos au mur, ne perçoit aucun échappatoire, et le lecteur de la même façon. Cela provoque ainsi un récit sans débouché, efficace mais finalement assez angoissant. J'aurais préféré un temps plus court et plus intense plutôt que cette lancinante débâcle dans laquelle Robicheaux peine.
De la même façon, la fin arrive alors de façon si impromptue et simple que cela offre un contraste beaucoup trop marqué avec le corps du roman. Du jaune pétant sur un monochrome pourpre. Et force est d'avouer que c'est finalement un peu décevant. Les quelques personnages introduits lors du séjour au Montana ont, in fine, une portée assez courte et ne resteront pas marquants dans la sage (je parle, par exemple, de l'institutrice d'Alafair). Cela donne un côté anecdotique à ce séjour hors Louisiane, ce qui est évidemment dommageable.


"Black Cherry Blues" reste cependant un très bon roman, bien au-dessus de la plupart des romans du même genre; mais il ne s'illustrera pas comme le meilleur des trois premiers tomes.

Wazlib
7
Écrit par

Créée

le 30 mai 2019

Critique lue 559 fois

Wazlib

Écrit par

Critique lue 559 fois

Du même critique

Des fleurs pour Algernon
Wazlib
9

Ceula ne par le pa que de souri et de fleurre

Lu dans un bus, parce que le titre est original, parce que la souris a l'air bien sympathique devant son labyrinthe, parce que les gens en parlent ici ou là, qu'avec de jolis mots. Par sequeu les...

le 26 mars 2014

12 j'aime

3

Cujo
Wazlib
8

Le roman d'un été.

Le vieux conteur du Maine. Stephen King est, de tous les écrivains que j'ai pu découvrir, celui qui raconte le mieux les histoires. Lors de ma première lecture, le volumineux recueil de nouvelles «...

le 1 avr. 2017

10 j'aime

Sleeping Beauties
Wazlib
3

Auroras-le-bol?

Dernier roman de Stephen King traduit dans la langue de Molière, « Sleeping Beauties » nous fait bénéficier du talent de, non pas un King, mais deux King puisque co-écrit avec son fils Owen. Je ne...

le 3 juin 2018

8 j'aime

2