Histoire de la splendeur et de la déchéance de Lily Bart... Dans la haute société de New York du début du vingtième siècle, il ne fait guère bon vivre malgré les apparences. Si l'on veut se conformer aux règles, on peut même y perdre son identité ; c'est ce qu'Edith Wharton aura à cœur de développer magistralement tout au long de son premier roman.


Wharton a toujours écrit sur ce qu’elle connaissait le mieux : la société de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie américaine, et plus spécifiquement new-yorkaise. Elle l'étudie, elle la dissèque sans indulgence. Bien au contraire, elle en pointe constamment les travers. L'histoire de Lily Bart lui sert donc de prétexte à dénoncer une société hypocrite, superficielle, misogyne et impitoyable. Lily en est issue, mais fait figure de parent pauvre. Elle ne peut donc mener le train de vie de ses amis, mais n'imagine de pas de vivre autrement ni ailleurs que parmi eux. Et pourtant, elle est indubitablement différente. Poursuivant un seul objectif, celui de se trouver un riche mari afin de s'assurer un avenir solide et confortable, elle est sans cesse contredite dans ses projets par son aspiration à une autre vie. Elle est sa propre ennemie.


Donc, d'une part, une volonté (ancrée depuis l'enfance dans le cerveau de Lily) de se conformer aux règles de la haute société, et, d'autre part, une envie incertaine, floue, mais bien présente, de prendre son envol et de se laisser guider par ses sentiments. Ce sont ces tiraillements constants qui vont mener petit à petit Lily à sa déchéance - à moins qu’elle ne parvienne au contraire, en perdant argent, fanfreluches et "amis", à un début d'émancipation... Ce sont ces tiraillements qu'Edith Wharton va analyser encore et encore. Par son style sous influence proustienne (les phrases de dix pages en moins), elle nous fait pénétrer dans les méandres de la psychologie des personnages, et avant tout dans ceux de Lily. Chez Les heureux du monde, c'est un petit trésor de subtilité. Et un pamphlet féministe.


Il est, cependant, parfois malaisé pour le lecteur de comprendre les comportements de la haute société new-yorkaise : est-ce si grave de faire ceci ou cela, d'avoir été vu subrepticement en compagnie de Machin ou d'Untel, pour que la seule réponse possible demeure, toujours, l'exclusion définitive et irrémédiable de la personne prise en flagrant délit ? Si l'on est pas du monde d'Edith Wharton (comme c'est évidemment le cas de la plupart de ses lecteurs d'aujourd'hui), les codes de cette société demeurent un rien hermétiques. Ce qui, au final, renforce la critique féroce de l'auteure : cette société n’est construite que sur des artifices qui sont devenus des impératifs, au mépris de toute tentative d'épanouissement personnelle. Chez les heureux du monde, c'est donc bien plus que l'histoire tragique de Lily Bart et de l'élite new-yorkaise : c'est celle des femmes, des sociétés humaines. C'est celle des individus qui, toujours et encore, cherchent à s'épanouir dans un contexte qui les contraint impitoyablement.

Cthulie-la-Mignonne
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le 21 mars 2016

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