Il est utile de préciser que le présent recueil n'est plus édité, et qu'il n'a pas été entièrement écrit par Robert Ervin Howard. Sur les sept nouvelles présentes ici, seulement trois ont été entièrement écrites par lui. Deux ont été commencées par Howard, et complétées par Lyon Sprague de Camp ou bien Linwood Carter, et les deux autres nouvelles ont été écrites par de Camp et Carter.
Il faut dire que la vie de Robert E. Howard fut courte : il s’est suicidé à l’âge de 30 ans. Il n’a donc pu aller au bout de ce qu’il avait entrepris pour Conan. Et il aurait pu aller assez loin car il laissa une grande quantité d'ébauches et de brouillons. Ebauches et brouillons que ses admirateurs Lyon Sprague de Camp et Linwood Carter ont donc essayé de compléter. Il n'est pas exclus que ces deux auteurs aient également inventé de toutes pièces des histoires de Conan, c'est-à-dire sans la moindre ébauche venant de Howard.
Le travail de reconstruction entrepris par de Camp et Carter ne pose pas vraiment problème. Le présent recueil présente de l'heroic fantasy fort efficace ; il est impossible de s'ennuyer. Mais on peut constater que toutes les nouvelles ne sont pas de la même qualité.
Ce qui ne signifie pas qu’il y a dans ce recueil des nouvelles dispensables : les moins intéressantes sont tout de même réussies. Simplement, certaines nouvelles vont plus loin que d’autres dans l’originalité des intrigues, dans la caractérisation des personnages, et dans le style d’écriture. Et comme le sommaire indique pour chaque nouvelle l'auteur ou les auteurs, on peut se faire une idée sur les qualités littéraires de Howard, qui sont sans nul doute supérieures à celles de de Camp et Carter en ce qui concerne les aventures de Conan.
De Camp et Carter savent être efficaces, comme on peut le voir dans la première nouvelle, " La chose dans la crypte ". Mais cette nouvelle ne va pas plus loin que de l'horreur classique à base de mort-vivant : elle est assez factuelle et la dimension surnaturelle est assez peu exploitée.
De manière générale, de Camp et Carter ont tendance à seulement effleurer ce que Howard maîtrise bien : la caractérisation des personnages et la recherche d'intrigues originales.
On sent que Howard était passionné par ses personnages, car il met un soin particulier à les caractériser.
La nouvelle " La chambre des morts " (complétée par de Camp) est à ce titre un bon exemple. Elle débute avec l’arrivée d‘une escouade de mercenaires missionnés pour tuer Conan. N’importe quel auteur aurait bien sûr présenté leur chef, mais brièvement, puisqu’il est question d’une petite troupe paramilitaire que l’on imagine se faire bientôt massacrer par Conan. Mais Howard prend le temps de présenter cet homme, Nestor, sans se contenter de sa description physique : on a accès à ses pensées, emplies de doute concernant la pertinence de sa mission et les compétences de ses hommes. On sent que c'est un personnage important, qu’il n’est pas un antagoniste basique à la durée de vie courte. Et effectivement, au fil de l’histoire sa relation avec Conan va évoluer, pour finir par ressembler à une sorte de rivalité respectueuse. Il est d’ailleurs dommage que Howard n’ai pu approfondir ce personnage qui avait un vrai potentiel pour de futures histoires (il est juste évoqué sans être nommé au début d’une autre nouvelle).
Cette caractérisation par Howard des personnages que Conan rencontre est réussie au point que l’on peut avoir l’impression que dans certaines nouvelles Conan est un personnage secondaire, ou tout du moins qu’il n’est pas le plus important. Mais en fait Howard ne délaisse pas le personnage de Conan. Contrairement à une opinion partagée par les personnes connaissant mal Conan, ce dernier n'est pas une brute primitive. C'est un homme simple vivant dans un monde violent : il peut donc difficilement se permettre de réfléchir sur lui-même, et il s'intéresse avant tout au côté pratique des choses. Ce qui ne l'empêche pas de parler plusieurs langues (apprises sur le tas). Et à l'occasion d'éprouver de la tristesse et de la pitié, car, étant constamment confronté aux forces du Mal, il possède un sens moral.
Il est d'ailleurs à noter que le personnage créé par Robert E. Howard s'appelle Conan le Cimmérien, et non pas Conan le Barbare… L'utilisation du mot " barbare " est assez regrettable car celui-ci a pris au fil des siècles une connotation fort négative - alors qu'à la base il servait à désigner tous les peuples étrangers à une civilisation de type impérialiste.
De leur côté, de Camp et Carter insistent plus sur le physique de Conan que sur sa personnalité, et de manière parfois assez lourde. Ce qui malheureusement va plus dans le sens de " Conan le Barbare " que dans celui de " Conan le Cimmérien ".
L'inventivité de Howard est passionnante. Il lui arrive même de pratiquer le mélange des genres, comme dans la nouvelle " Le dieu dans l’urne ".
La majeure partie de cette nouvelle est une sorte d’histoire… policière. Suite à un meurtre mystérieux, Conan, qui se trouve sur les lieux du crime, est immédiatement désigné coupable. Mais l’inquisiteur local est un homme plus intelligent que ses compatriotes, et l’affaire est si étrange qu’il préfère enquêter plutôt que d'envoyer directement Conan en prison. Et ceci, non pas en pratiquant la torture, mais en interrogeant tout le monde tel une sorte d’Hercule Poirot ! La nouvelle va ensuite progressivement basculer dans l’action violente. Puis dans une dernière partie que Lovecraft n’aurait pas dédaignée, avec une étrange tonalité empreinte d'une sorte de poésie fantastique.
Il est à noter que Howard était contemporain de Lovecraft, et qu'il a entretenu avec le reclus de Providence une correspondance assez conséquente. On perçoit dans ses histoires de Conan certains éléments d’inspiration lovecraftienne, comme l'origine extra-terrestre de certaines créatures et divinités. Et on imagine avec regret que si Howard avait pu continuer la rédaction de ses histoires, il aurait pu créer un véritable panthéon horrifique…
Malgré le caractère quelque peu frustrant de ce recueil, au regard de ce que Howard avait commencé de rédiger, si vous avez l'occasion de tomber dessus, n'hésitez pas : l'efficacité de ces nouvelles est incontestable. D'ailleurs, plusieurs d'entre elles ont servi de base à des aventures de Conan dans des comics Marvel, mais aussi à des éléments du film " Conan le Destructeur " de Richard Fleischer.