Crossroads
7.2
Crossroads

livre de Jonathan Franzen (2021)

Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=RcX1x6bhNeI


Le titre, c’est le groupe de jeunes chrétiens au sein de l’église réformée dans laquelle travaille Russ, le père de la famille. On peut le traduire par route croisée, et c’est la construction du roman, puisqu’on suit la famille Hildebrandt sous plusieurs points de vue. Le père, déjà, pilier de la famille, mais aussi de la paroisse, puisqu’il est révérend. Dès le départ, on voit que celui-ci a un rapport ambigu à sa foi, dans le sens où elle agit comme un titre honorifique, qu’il s’arrange avec elle quand c’est nécessaire, et qu’il aime se morfondre en elle. C’est un père déchu, un père complexe, qui est rejeté pour ses failles, et que pourtant on trouve attachant. On le suit dans sa jeunesse et apprend comment il est devenu l’homme faible qu’il est — sa famille mennonite qui rejetait tout péché, son refuge dans la nature pour aider les Navajos, et sa rencontre avec Marion. Ces passages sont comme une part d’Amérique, comme un livre dans le livre qui aurait pu tout à fait être édité chez Gallmeister, ode aux grands espaces et à la nature. A ses côtés, sa femme Marion, qui est devenue l’ombre d’elle-même. L’introduction sur son point de vue est très bien faite, parce que Frazen nous fait comprendre qu’elle souffre probablement de dysmorphobie, en nous la décrivant comme une personne en surpoids, jusqu’à ce qu’elle annonce à sa psychiatre :

« Vous savez combien je pesais ce matin ? Soixante-quatre kilos huit ! »

On voit qu’elle, c’est la dualité qui domine son portrait : l’inadéquation entre l’image qu’elle a d’elle-même et ce qu’elle est en réalité. La culpabilité l’empêche de vivre comme elle le souhaite, et les analepses nous feront comprendre pourquoi. Je ne veux pas trop en révéler, mais disons que nous avons encore affaire à un livre dans le livre, et que j’ai trouvé que la virtuosité avec laquelle se télescopait le passé dans le présent était vraiment réjouissante.

Après, viennent les 4 enfants, même si nous n’avons le point de vue que des 3 premiers.

On retrouve des airs de tragédie grecque dans ces parties, dans le sens où quand la mère, Marion, prévient son fils Perry du risque qu’il encourt, le risque de maladie mentale (elle-même ayant subi un épisode psychotique dans sa vingtaine), cela précipite Perry dans la dépendance à la drogue — et donc dans un état d’esprit mégalomaniaque voire maniaque qui l’approche de la bipolarité de sa mère. Ce qui évoque Œdipe, on prévient ses parents du risque, et quoiqu’ils fassent, la prophétie se réalise. D’ailleurs, en parlant d’Œdipe, on observe aussi que le spectre de l’inceste rode autour de la famille, avec Becky et Clem, les frères et sœurs à la relation trouble. Il s’agit d’une relation très ambigue, jusqu’à la fin, une relation basée sur un amour très fort, sans doute trop, sur un besoin d’approbation qui empêche aussi chacun d’être soi-même. On peut aussi remarquer que les deux relations amoureuses qu’ils vivent agissent en miroir, Becky semble voir son frère en Tanner, et celui-ci, compare sa petite amie avec sa sœur, et finalement rompt avec celle-ci car elle ne résiste pas à la comparaison.

C’est un roman sur la religion, avec toutes les nuances que ce sujet peut présenter, car de l’extérieur, on peut se dire que c’est encore un roman qui va montrer comment la religion va corseter les relations et les émotions humaines, mais non, pas du tout. Chacun a un rapport complexe avec, qui peut-être conflictuel, comme Perry et Clem, les deux frères qui la rejettent totalement, sans doute aussi par opposition au père. Ça peut aussi être la révélation, comme pour les deux femmes de la famille, qui au moment de leur vie où elles se sentent le plus en perdition, trouvent la lumière si je puis dire — et ce qui est très malin, c’est de montrer, avec toute la nuance et la subtilité du monde comment cela les fait rentrer dans le rang, comment cela les conditionne à se mouler dans la version la plus conservatrice de la femme — en mère dévouée. Et que c’est en s’éloignant de ce modèle que Marion renait.

C’est difficile encore d’en parler sans trop en révéler, c’est un livre long, mais j’aurais voulu qu’il dure encore plus, c’est le genre de livre qu’on est triste de refermer.

Le style se tient, n'est peut-être pas des plus original, mais est agréable à lire. Frazer aime bien l'allusion, il fonctionne par litote et euphémisme : la fin va dans ce sens et marche parfaitement.

Ce n’est peut-être pas de la grande littérature, mais c’est divertissant sans non plus trahir le lecteur : quand je parlais de la Blackwater cet été, c’était ce genre de roman auquel je m’attendais. Un roman qui prend son temps, qui nous fait oublier le notre, qui m’a procuré beaucoup plus de plaisir que les livres du goncourt par exemple.

C’est donc un grand coup de cœur pour ce livre, que je vous recommande très chaudement, et me donne envie de découvrir le reste de la bibliographie de Frazen.

YasminaBehagle
9
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le 5 nov. 2022

Critique lue 87 fois

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YasminaBehagle

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cazesraymond
4

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