Dans le grand cercle du monde par Jessica Tomodachi

Première moitié du XVIIème siècle. Sur les terres canadiennes, les nations Huron-Wendat et les Iroquois se livrent à une lutte sans merci. Les massacres et les rivalités sont rythmés par les saisons. Les français ont colonisé une partie du territoire et ont ouvert un premier comptoir commercial à Tadoussac au Québec en 1600. Sous l’impulsion de Samuel de Champlain, gouverneur de la Nouvelle-France, nom donné à la première colonie française, les relations diplomatiques et commerciales entre les français et les Hurons-Wendats sont excellentes. Les iroquois, alliés des hollandais et des anglais, deviennent de fait, les ennemis des français. Les premiers missionnaires catholiques sont envoyés sur le territoire en 1615, suivis en 1625 par les jésuites……


C’est dans ce contexte historique que se déroule le roman Dans le grand cercle du monde de Joseph Boyden. Installé dans un village de la nation Huron-Wendat, le père Christophe, jésuite, a pour mission de convertir le plus grand nombre à la foi chrétienne et d’étudier les mœurs ce peuple encore peu connu. Arrivée en même temps que le père Christophe, une jeune iroquoise, Chutes-de-neige, capturée lors d’une bataille entre son peuple et les Hurons-Wendats où elle a vu toute sa famille décimée, est adoptée par Oiseau, le guerrier valeureux, responsable de la mort de ses parents.


Dans le grand cercle du monde, c’est avant tout la confrontation entre deux mondes différents, l’Ancien Monde (l’Europe) et le Nouveau Monde (l’Amérique). Le père Christophe ainsi que les autres missionnaires qui vont le rejoindre plus tard, incarne cet Ancien Monde qui veut imposer sa religion et sa civilisation à un peuple qui possède déjà les siennes. Face à eux, une ribambelle de personnages incarnant le Nouveau Monde mais la plus emblématique selon moi est Petite Oie, la femme d’Oiseau, père adoptif de la jeune Iroquoise, Chutes-de-neige. Guérisseuse et devineresse, elle affronte et déstabilise le père Christophe dans ses efforts de conversion au Christianisme. C’est une lutte entre deux croyances différentes: celle de Petite Oie tournée vers la nature et les esprits, celle de Christophe vers Dieu.


Le roman a plusieurs voix: celle d’Oiseau, celle de Chutes-de-neige et enfin celle du père de Christophe. J’ai trouvé que ce choix de narration était très intelligent. Cela permet d’avoir trois points de vue totalement différents et renforce cette opposition entre Ancien et Nouveau Monde. Cela amène d’ailleurs des situations très cocasses où d’un côté le lecteur voit des Hurons-Wendats impressionnés par ce qu’apporte la civilisation européenne comme l’horloge, les fortifications, les armes à feu ou encore l’écriture! (les Hurons n’avait pas de langue écrite). Il y a une sorte de magie qui entoure tous ces objets pour eux. A l’inverse, le père Christophe est souvent choqué par ce qu’il observe: le manque de pudeur, la violence et la torture envers les ennemis, le festin de Morts (sort réservé aux morts), la croyance dans les esprits de la nature…Il dit clairement dans ses lettres envoyées en France, qu’il est entouré de sauvages qui s’adonnent à la sorcellerie et qu’il est urgent de leur montrer ce qu’est un VRAIE civilisation. Chutes-de-neige est un personnage complexe puisqu’elle est originaire d’une nation rivale. Animée par un esprit de vengeance, elle se résigne et finit par apprécier son nouveau père. Chutes-de-neige est à la croisée des deux Mondes, tiraillée entre les croyances de son peuple et la curiosité pour ce prêtre qui porte autour du cou son père, les bras en croix…


Joseph Boyden a fait un énorme travail de recherche documentaire! Ce roman m’a tellement passionné que j’ai voulu en savoir plus et je me suis vite aperçue de la véracité de tous les faits historiques relatés dans le roman. L’auteur décrit parfaitement les us et coutumes, le mode de vie des peuples amérindiens. J’avais vraiment l’impression d’être au cœur de ce village, de vivre au rythme des saisons comme les hurons. On apprend une tonne de choses sur les habitations (les maisons-longues dans lesquelles plusieurs familles cohabitent), sur les récoltes, sur la chasse, sur le commerce avec les Français et les nations amies, sur la médecine, sur les croyances, sur les batailles avec leurs ennemis mais aussi sur le traitement des prisonniers. Sur ce point, on a quelques scènes très sanglantes et violentes…une chose est sûre, leur imagination en terme de tortures est hallucinante!!!


Au cours de ma lecture, j’en suis arrivée à me questionner sur l’intérêt et l’impact réels de l’apport de la civilisation européenne à ces peuples. Sous des airs de vouloir convertir les peuples amérindiens au Christianisme, il semblerait malheureusement que les français cherchaient surtout à étendre leur territoire et à accaparer les richesses. Le père Christophe doutera d’ailleurs de sa mission et des réels intentions des dirigeants français. Quand à l’impact, il est double. Les européens ont apporté avec eux le progrès symbolisé par les outils, les armes à feu, les machines, etc… Cela intimide et impressionne les Hurons mais la plupart vont très vite y prendre goût. Dans ce sens on peut dire que c’est une avancée. Mais le progrès a son revers de médaille: les mousquets vont également précipités et aidés dans la destruction de la nation Huron-Wendat et des autres nations amérindiens. En effet après avoir très vite appris à les manier cette arme de destruction facilitera la mise à mort et augmentera considérablement le nombre de victimes des guerres entre nations rivales. D’un autre côté, les maladies apportées par les européens provoquent de graves épidémies et déciment un nombre important d’autochtones.


La question qui m’a le plus taraudée est celle de la conversion qui est au cœur du roman. Pourquoi vouloir convertir au Christianisme à tout prix un peuple qui a déjà ses propres croyances? De quel droit peut-on imposer sa religion? Sa vérité? Pourquoi une croyance serait-elle meilleure qu’une autre? Cela pourrait faire l’objet d’un débat…


Dans le grand cercle du monde est un roman passionnant sur le début de la colonisation français sur le territoire canadien. Ce roman est extrêmement bien documenté et l’auteur se fait un plaisir de nous plonger au sein de la nation Huron-Wendat. Le lecteur apprend une foule de choses sur le mode de vie, les us et coutumes et les croyances de cette nation mais aussi sur leur relation avec leurs alliés les Français. Les personnages sont complexes et bien travaillés psychologiquement. Mais il ne faut pas trop s’y attacher, la mort règne dans ces territoires… Ce récit interroge sur l’apport de la civilisation européenne sur ces peuples: Ces nations « sauvages » ont-elles gagnées quelques bénéfices? Qui est le gagnant? Le perdant? La question de la conversion au Christianisme m’a également fortement interpellée. Je rajoute que ce roman est très visuel, il pourrait faire facilement l’objet d’une adaptation cinématographique! Joseph Boyden m’a éblouie avec son roman…certainement une des voix américaines à suivre dans les prochaines années…

JessicaDubreucq
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le 14 avr. 2019

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