C'est curieux, je n'ai pas aimé le style de Simak, jusqu'à me demander à quel point la traduction jouait dans cette sensation désagréable. On peut dire que j'avais hâte d'en finir avec cette lecture. L'écriture est à la fois sobre, précise, adaptée au format de nouvelles ; et quelque part distancée, avec peu d'affect et jamais d'humour, ce qui rend difficile l'empathie pour les personnages et les événements. Certains concepts apparaissent bruts, presque universitaires, en plein milieu de dialogues, on se les prend dans les yeux et dans le cerveau sans transition ni préparation.


Néanmoins, même si la forme manque parfois de poésie (et encore...), cela rend en quelque sorte le fond très intelligible. J'ai réfléchi longtemps à cette philosophie révolutionnaire du martien Juwain, permettant aux Hommes de se comprendre, de voir un problème sous toutes ses facettes. J'ai rêvé longtemps de cet être de Jupiter et sa pleine conscience, son rapport simplifié au monde, son opposition sereine, par son existence-même, aux méandres gluants de la psyché humaine. Et je me suis questionnée sur les différentes voies que pourraient emprunter une civilisation neuve, le vieux fantasme romantique de l'état de nature, et celui de l'éducation orientée, volontairement détachée de la tradition, pour voir, pour corriger.


Simak va toujours plus loin dans la vision géniale. Ses grands bonds dans le futur du futur du futur, toujours plus loin dans l'Histoire, dépeignent peu de mots des civilisations semblables, mais au découvertes, aux moeurs et aux tragédies propres. Quel plaisir de retrouver en toile de fond l'évolution des races animales, évoquée discrètement dans les premiers contes pour se concrétiser dans le dernier tiers du livre et apporter une touche finale à la spirale temporelle infernale que l'auteur met en route dès la "note de l'éditeur". Quel plaisir que cet auteur ne s'arrête pas à la sempiternelle IA, monolithe de la SF, qui a - je m'en rends compte seulement suite à cette lecture - enclavé l'imaginaire de tout un genre littéraire.


En quelques pages, parfois quelques lignes, Simak m'a amenée à verbaliser pourquoi j'aime la S-F. Pour son exploration de la race humaine, la mise en lumière de ses vices, de ses déviances, de la menace qu'elle peut être pour elle-même. Pour servir de garde-fous, et remettre en perspective le présent et le chemin qu'on est en train de tracer pour le futur. Pour me faire réfléchir autant qu'elle me fait voyager, et pour me faire m'échapper des préoccupations contemporaines, pour mieux y revenir.

Noah_Lyn
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le 15 nov. 2015

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Noah_Lyn

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