Pourquoi j'aime John Irving ? mh ? ses livres j'entends, ses histoires

Lui et moi c'est une vieille histoire justement : Le Monde selon Garp, L'hôtel New Hampshire, Une prière pour Owen, et autre Epopée du buveur d'eau m'ont accompagné en riant et pleurant dans l'âge adulte. J'en ai même fait le sujet de ma maîtrise de lettres !
Mais fi de ses anecdotes personnelles sans intérêt, cherchons les vraies raisons qui nous poussent à saliver à la vue du dernier livre de John Irving, bien posé sur la table de la librairie. C'est qu'on est heureux de le revoir le John Irving à sa sortie, il se fait toujours rare (15 romans en 40 ans).

D'abord, le pavé. Un bon gros livre blanc avec pleins de pages, on sait qu'on va le déguster longtemps. Jubilation...
Ensuite le titre, toujours énigmatique, "Dernière nuit à Twisted River". Qu'est ce qu'il nous a mijoté ? Le roman parlerait-t-il d'une fin ?
Un rapide regard sur la photo de l'auteur, ah oui il vieillit bien, le cheveu grisonnant sied bien à son œil triste.
Evidemment, on fait l'inventaire rapide des petites madeleines récurrentes attendues : un héros paumé, quelques ours, des appartements, des situations burlesques, de la chair fonctionnelle et vivante, une dose de sexe débridé, un accident de voiture, la perte d'un être cher, la violence de la vie...

"Dernière nuit à Twisted River", commence bien par la fin... la fin d'une époque, et le début d'une traversée. C'est un livre d'hommes, dans un univers rude, celui des bûcherons et des draveurs de bois du Nord des Etats Unis. C'est un trio central d'hommes soudés à la vie à la mort par une promesse, et par un secret. Et évidemment ils n'ont pas le bonheur facile.
Ketchum l'ours bûcheron anarchiste et protecteur, son ami Dominic le sensible cuisinier atrophié, et Daniel le fils de Dominic, futur écrivain passent le long de leur vie, espérant échapper à leur destin tragique, une vengeance. Leur existence est sinueuse et traîtresse comme la rivière Twisted. Elle est amour et perte, cuisine et écriture, et solitude toujours. C'est une longue fuite en avant à travers le territoire américain (jusqu'au Canada) et sur un demi siècle. Ils y croisent une multitude de femmes, héroïnes tragiques, étoiles filantes qui laissent dans leur vie un trait de lumière puis disparaissent toutes, ou presque.

N'allez pas croire que cette Anti-Epopée tragique est d'une lecture désespérée et stérile, "point trop n'en faut".
Pour moi, le sujet du livre c'est la création ! D'abord parce qu'au-delà de la force du destin, les personnages prennent la main, et ils sont rudement coriaces et créatifs ! Et derrière eux notre auteur.
Quand John Irving nous raconte, il nous balade, et on se régale ! Des détails léchés, des caractères complexes, des univers habités, et des processus d'écriture. C'est lui le patron, celui qui construit l'histoire, il est maître de l'espace et du temps. Et s'il nous amène dans des chemins narratifs que l'on croit attendus et dans lesquels on s'installe, c'est pour mieux nous surprendre par un raccourci temporel ou une révélation précipitée, tuant le suspens et la linéarité du récit mais créant la profondeur.
L'histoire n'est pas le seul objet de ce roman, un deuxième niveau de lecture interpelle : celui de comprendre comment le héros-narrateur-écrivain construit sa vie au fur et à mesure qu'il (l')écrit (dans) ses romans. L'intelligence du livre est là, dans la mise en abîme de l'écriture.
Ce qui fait de John Irving, un maître conteur extraordinaire et ses livres des œuvres littéraires.


fabfel
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le 5 juin 2011

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