Un space opera moderne de très bonne facture mais non sans défauts

Au XXIVe siècle, à l’aide de la technologie des trous de vers, l’humanité a colonisé plusieurs dizaines de systèmes planétaires. Les voyages intersidéraux coûtant très chers, ceux-ci sont devenus le monopole de grandes compagnies. Mais ces compagnies ne retrouvant pas de bénéfice dans la colonisation, le commerce interstellaire étant pénalisé par les coûts prohibitifs des voyages, la colonisation est arrêtée et les compagnies procèdent à des opérations de « retour sur investissement », consistant en des expéditions militaires de pillage plus ou moins légal sur les planètes colonisées.


Connu pour ses sagas kilométriques, Peter F. Hamilton nous livre ici un roman de space opera indépendant, pas spécialement court non plus (un petit millier de pages quand même) et plutôt réussi.


La trame de fond du roman est intéressante, avec au centre la question du gouffre financier de l’exploration spatiale et de son rapport coûts / bénéfices. Et, même si le lecteur met (vraiment) beaucoup de temps à le comprendre, le roman est aussi une étude comparative des mérites respectifs des différentes approches civilisationnelles à l’échelle des espèces. En l’occurrence, il s’agit de voir comment une civilisation qui a généralisé le capitalisme actionnarial peut survivre et intégrer des avancées scientifiques et technologiques bien au-delà de son niveau actuel. Ça ne semble pas très enthousiasmant à première vue, mais Hamilton parvient à donner vie à son récit en se concentrant sur le cheminement de son personnage principal, et nous fait visiter de nombreuses planètes, qui sont autant d’occasions de découvrir des sociétés coloniales originales et des environnements exotiques. De nombreuses améliorations bio-techs, une faune extraterrestre parfois fascinante, et des affrontements géopolitiques et militaires permettent de construire un univers de space op cohérent et intéressant.


Le livre souffre pourtant de plusieurs défauts. Tout d’abord, il est inutilement long. On ne compte plus les passages ou les chapitres presque totalement superflus. La palme revenant aux septante pages du héros à Amsterdam puis en Ecosse, dont on se demande vraiment ce qu’elles font là (on se dit même qu’il s’agit d’une nouvelle de l’auteur, dont il ne savait que faire et qu’il a placé dans son roman en désespoir de cause, et pas une très bonne nouvelle en plus).


Ensuite, les considérations politiques ne volent quand même pas très haut. Les lieux communs s’enchaînent sur un ton très professoral, même dans les conversations enflammées de certains protagonistes, et on est plus dans une fable à la Asimov un peu lourdaude que dans une profession de foi truculente à la Heinlein ou une étude anthropologique de Iain Banks. Cela implique notamment une résolution des conflits assez décevante et un épilogue franchement navrant.


On reste aussi un peu déconcerté par ce que l’auteur essaye de nous dire à travers son histoire. Ses deux personnages principaux voient leurs vœux les plus chers se réaliser, notamment au moyen d’ellipses scénaristiques un peu faciles, mais au prix de la trahison de tous leurs alliés, amis, frères et sœurs. Cet individualisme forcené, qui tranche forcément sur les considérations socio-politiques qui émaillent le livre, est présenté de manière extrêmement positive et semble être le moteur naturel de tous les personnages, y compris les héros supposément sympathiques. D’ailleurs, toutes les relations interpersonnelles développées dans le roman sont fondées sur le mensonge, la tromperie et la manipulation (y compris la relation que le héros entretient avec lui-même, ce qui est quand même un comble). La fin (toujours absolument individuelle) justifie les moyens (y compris les plus détestables).


Et enfin, le dragon qui donne son titre au roman passe finalement un peu inaperçu et est très peu exploité. Apparaître après 800 pages n’aide pas non plus.


Oui, on est un peu déçu par le dragon déchu…


Peter F. Hamilton : Dragon déchu – 2001


Originalité : 4/5. Certes pas révolutionnaire mais on sent dans l’ensemble une approche très personnelle.


Lisibilité : 3/5. Le style est très agréable, même si parfois un peu lourd.


Diversité : 4/5. On ne s’ennuie pas malgré les longueurs et quelques passages sans beaucoup d’intérêt.


Modernité : 4/5. Hamilton n’est pas pour rien un des principaux représentants du space opera moderne.


Cohérence : 3/5. Fortement endommagée par des chapitres un peu décalés, une exposition à l’univers un peu poussive au début du roman et une fin un peu décevante.


Moyenne : 7.2/10.


A conseiller si vous aimez le space opera et les fables politiques.


https://olidupsite.wordpress.com/2023/12/09/dragon-dechu-peter-f-hamilton/

OliDup
7
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le 9 déc. 2023

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