Grossièrement, l'intrigue dépeint un bourgeois né en 1960, un peu fantasque, pour lequel tout devient immédiatement rétrospectif. Cet esthète, bien construit, constant, tourmenté par le temps qui passe, est amené à fréquenter toutes les grosses villes — Strasbourg, Paris, Lyon — pour n'y résider qu'un temps très bref ; il y connaît amourettes, nostalgie, et, plus fortuitement, des personnages décisifs pour sa maturation. L'oeuvre, autobiographie — jusqu'à une certaine mesure —, s'étale sur près de 50 ans.

Les premières années d'embourgeoisement défilent à Sacierge, une province agreste dont les contours ne sont pas sans évoquer les romans de Pagnol, figues et tartes au citrons incluses. L'enfance reste, pour le narrateur, une période qu'il idolâtre. Puis, on déménage, on passe par Paris, la Bretagne, Strasbourg, Lyon, Tours, où l'on profite des couleurs. De Strasbourg, il ne relève que des bribes tant inconsistantes qu'on finit par se demander s'il est réellement passé par ces villes où il dit parquer.

Ceci étant, difficile de passer à côté de la propension endémique à déballer le vocabulaire. Bougrement descriptif, le récit déroule du vocable pédant, sur fond de termes souvent désuets — on pense aux « lampadophores » et « gentilhommières » —, et ce avec tant d'insistance que ça en devient presque péteux. C'est maniéré, lourd, indigeste comme les soupes thaïlandaises qui débordent de citronnelle. La graisse textuelle patine sur les pages, inhibant d'emblée toute accroche à l'intrigue. Il annonce page 118 : « J'eusse aimé que la vie fût une longue litote. » Bien. J'eusse aimé quant à moi que le livre appliquât la même maxime. Évidemment, on détecte parfois de beaux passages — la plume est pratiquement rimbaldienne page 53 — mais ça reste très ramassé.

Il faudra concéder, aux alentours de la fin, l'érosion stylistique. Tout devient alors plus pétillant. La plume se dégage au fil du récit, elle s'équarrit, mûrit, en même temps que le personnage. Sous le coup d'une obsession du temps qui défile comme une trombe et ne se rattrape jamais, le personnage vieillit. La mort l'obnubile, il y assiste — le père, la mère, la soeur décédés — mais y fait face de façon stoïque. Finalement, il laisse derrière lui ses amours, ses amitiés, piétinés par le temps qui file en sens unique. C'est ce qu'il déplore. Il n'y a plus que nostalgie et regrets.

En bref, Defalvard a apposé sa jeunesse sur le fond et s'échine à rester lucide, quoique tout cela est bien redondant et bien pompeux, en fin de compte. Le bémol principal étant, sans conteste, l'accumulation verbeuse. Quant à ce qui est de savoir pourquoi il plaît, c'est sans doute que l'auteur rejoint la figure de l'écrivain-esthète, adulée par certains milieux.

À lire, pour les névrosés de la plume.
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le 18 oct. 2011

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