Incontournable Avril 2022


Lauréat 2023 du "Prix Espiègle" des Bibliothécaires du secondaire du Québec


Un autre incontournable album documentaire pour nos adolescent.e.s avec la nouveauté de la collection Griff de la maison d'édition Isatis. Après avoir abordé le rapport de genre, la féminité et la condition de la femme avec "Le poids des seins", Nathalie Lagacé nous fait maintenant naviguer sur les relations toxiques, la violence conjugale et des manipulateurs affectifs.

Il était une fois une jeune femme-oiseau qui s'est entichée d'un homme-lapin aux airs doux, un coup de foudre digne d'un conte de fée. Emportée dans son idylle, elle emménage rapidement avec lui. Malheureusement, derrière le masque de lapin se cache un renard, qui commence progressivement à l'isoler, à démolir son estime de soi, à lui faire douter de ses capacités et de profiter se des sentiments.Il fait germer dans sa tête des idées, il prend le contrôle de sa vie et fait croire qu'il fait tout ça par amour. Viennent les bleus, viennent la peur et l'envie de se faire toute petite pour ne pas le mettre en colère. Après les coups, après la terreur, vient la lune de miel, les réconciliations et les câlins. Le temps de se faire pardonner, le renard redevient lapin. Puis, un jour, même si la honte l'étouffe, même la peur est omniprésente, elle fait un choix. ce matin, c'était le coup de trop. Ce matin marque le début de la fin. Il y a aura d'autres tentatives, d'autres charmes s'opèreront, mais avec le temps et avec du support, avec douceur, la femme-oiseau finira par se pardonner et apprendre à s'aimer.

Puisant une fois encore dans le symbolisme graphique, les allégories et la poésie, Nathalie Lagacé illustre avec beaucoup de douceur et de puissance un thème difficile, qui est étonnamment encore mal comprise dans une société où la violence fait aux femmes est désormais connue. L'an dernier, il y a eu 18 féminicides au Québec, des assassinats commis contre des femmes dans un contexte de violence conjugale. Le sujet n'a que trop tardé à être abordé en littérature jeunesse.

Ceux qui me lise souvent me verront venir: Je déplore la forte présence de glorification des relations toxiques dans la littérature jeunesse. Certaines des séries destinées au lectorat adolescente sont des odes à la relation malsaine, comme les Twilights, les Night School, et ces romans porno que lisent les adolescentes comme les After ou les "Palais de roses et d'épine". Chantage émotif, le fameux " gaslighting" ( une forme d'abus et de manipulation qui sert à faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception de la réalité et de sa santé mentale), le "stalking", le mensonge, la jalousie comme motif de contrôle, la surveillance, la domination, la violence verbale, physique et psychologique, on y trouve de tout. C'est profondément inquiétant que personne ne voit ces rapports toxiques pour ce qu'ils sont: toxiques. Malsains, Carrément dangereux. Mais les séries, films et romans pour ados ne sont soumis aucune restrictions. Résultat, nous exposons nos ado.e.s à des modèles relationnels délétères et on les désensibilise au phénomène des relations abusives. Certaines ados s'en serve même comme référentiel de relation idéale. Bref, y a de quoi s'inquiéter.

Donc, ça me soulage quelque peu de voir ce genre d'ouvrir apparaitre. Narré sous forme de conte, il sagit d'une situation, la plus "rependue", soit celle d'un conjoint violent contre sa conjointe, mais il va de soi, l'autrice le souligne elle-même, que la forme et le sujet peuvent énormément varier. Tous les renards et les renardes n'opèrent pas de la même manière, mais le résultat est le même. Des hommes comme des femmes peuvent en être les victimes, et les relations toxiques peuvent survenir dans les relations familiales, amicales ou entre collègues.

Aussi, le propos est articuler pour faire comprendre que les renards et renardes eux-même peuvent faire des prises de consciences. S'ils aiment mal, certains ne souhaitent pas "aimer mal". Certains sont effectivement, comme dans les romans et les séries, des personnes fragilisés par un passé difficile. Attention! Contrairement aux romans et aux séries qui laissent entendre que ça justifie d'être d'épouvantables conjoint.e.s avec la personne qui les aime, RIEN ne justifie la violence, qu'importe sa forme.

Il faut aussi comprendre que la violence est multiple. Le gouvernement du Québec en répertorie 5 grandes formes:Physique ( la plus connue et la plus visible), la financière, la verbale, la psychologique ( la plus difficile à percevoir) et la sexuelle. Certains des romans que j'ai lus semblaient être des romances, mais en observant les comportement et le choix des mots, on était en présence de violence psychologique. Certaines des excuses des personnages masculins sortent tout droit du répertoire des excuses des batteurs/batteuses de femmes/hommes. Je vous jure que c'est perturbant qu'on ose appeler ces romans des "romances".

Voici certaines de ces excuses:

"Tu es à moi" ( personne n'est la "propriété de qui que ce soit).

"C'est la jalousie qui me rend comme ça, c'est une preuve que je t'aime" ( la Jalousie est tout sauf de l'amour)

"Si tu m'aimes vraiment, tu accepterais de coucher avec moi" ( Violence sexuelle)

"Pourquoi tu dis ça? On dirait que tu fais tout pour m'enrager!" ( Violence verbale et psychologique)

"Si tu ne faisais pas les yeux doux aux autres, entre nous il n'y aurait pas de problème" ( gaslighting)

" C'est à cause de mon enfance difficile" ( Mauvaise excuse, justification)

Et une réplique de "Twilight" que je trouve parfaite pour illustrer une excuse:

"Je sais que tu m'aimes, mais tu ne veux juste pas l'admettre"( gaslighting) avant d'embrasser Bella de force ( Violence sexuelle). Merci, Jacob.

Ces phrases, elles viennent du livre ( sauf la réplique de Twilight), vous les trouverai à la fin, dans la rubrique "Après un comportement violent", le renard.e. va chercher à se justifier ou minimiser les faits.

Il y a aussi des rubriques pour vous expliquer les différentes formes de violence, les cinq mentionnées plus haut, mais aussi la violence mutuelle, la cyberviolence et la violence indirecte.

On aura une rubrique sur les "bonnes intentions", c'est à dire les excuses, (la recherche du pardon), la différence entre excuses et justifications, la différence entre le conflit et la violence, la différence entre se "plier à l'autre" et faire des compromis. Une demi page sur la jalousie, une autre demi sur "Quoi faire quand on est témoin d'un abus ou qu'on a des doutes" pour pister les témoins. On aura également une rubrique sur les "Rechutes", parce que la violence est cyclique, cette fameuse spirale de "Tension-explosion-justification-réconciliation" qu'on peut voir très nettement dans les "After", d'ailleurs.

On retrouvera des indices pour reconnaitre les manipulateur et les gens violents. Voici quelques exemples:
- Quand une personne trouve des points négatifs à tout ce qui nous arrive de bien.
-Quand une personne n'accorde aucune importance à notre opinion.
-Quand une personne nous met constamment au défi de faire des choses que l'on ne veut pas faire

Aimer n'est pas douloureux, c'est un autre bon indice que quelque chose de toxique est à l’œuvre. "Se sentir inférieur à l'autre, tellement grandiose comparé à soi, n'est pas un bon signe non plus.
Penser qu'il faut souffrir pour gagner le "gars inaccessible" est un autre élément que j'ai remarqué dans les romans jeunesse avec des relations toxiques, et qui est évidemment toxique.
Ça ne traduit pas un rapport égalitaire".
"La "fusion" n'est pas un signe d'amour exceptionnel, mais d'une perte de soi et d'identité" ( Bella Swan est le meilleur exemple de cet indice).
" On n'appartient à personne d'autre que soi-même". ( Toutes les Dark Romance prétendent le contraire, certaines femmes sont même considérées comme des jouets sexuels, voir "Fifty Shades of Grey, "Boutons et dentelle", "Un palais de roses et d'épines","365 jours" etc)

Enfin, vous aurez une liste de signaux d'alerte, des questions que l'ont peu se poser sur les relations.

On propose cette phrase: "Au lieu de se demander "Est-ce que cette situation est normale?", on devrait plutôt se demander "Est-ce que cette situation me convient".

L'autrice fournit des références, numéros de téléphone inclus pour ceux et celles qui pourraient être victimes de violence conjugale ou témoins. Certains sont liés au aides et écoutes pour la communauté LGBTQIA+.

Cet ouvrage a été élaboré avec le concours de spécialistes professionnels:

Madame Jacinthe Dion, docteure en psychologie et professeure titulaire en psychologie clinique et développementale auprès des enfants et adolescents à l'UQAC
Monsieur Maxime Lévesque, sexologue, chroniqueur et ancien formateur pour l'organisme Tel-Jeunes

Les images sont magnifiques, très fortes tout en étant douces. Elles parlent, elles questionnent et elles résonnent. Les couleurs comme le rouge, sert aussi la trame. On alterne entre les dessins au crayon bois, les fonds en papier peint et le crayon plomb. La jeune femme a une tête d'oiseau de type perruche cockatiel, parfois avec des plumes dans le dos. Le jeune homme pour sa part, alterne avec un visage de lapin gris et celui du renard, dont on devise la couleur sous celui du lapin. Un anthropomorphisme partiel qui sert bien son sujet. Visuellement, c'est superbe.

Je conclurai en formulant le souhait que nous fassions tous une prise de conscience sur la présence des relations toxiques glorifiées dans la Culture, qu'elle soit sur papier ou sur le Web ou les écrans. Si on ne parvient pas à la voir dans la fiction, que penser alors de notre capacité à la voir dans la vraie vie? Et si en tant qu'adulte, c'est déjà une tâche fastidieuse, que pensez de nos ados, encore inexpérimentés et impressionnables, face à ce phénomène? J'espère que cet album suscitera un minium de réaction et favorisera le dialogue sur cet enjeu vieux comme le monde, dont on n'a pas encore aperçu toute l'étendue.

Cet album peut être aussi un formidable outil pour les cours d'éducation citoyenne et de sexualité.

À voir absolument.

Pour un lectorat à partir de 13 ans.

Je vous invite à voir un essais intéressant, court et relativement doux, écrit par l'autrice québecoise India Desjardins, qui se pose sensiblement les même questions que moi quand à la présence de glorification des relations toxiques dans les œuvres culturelles:

"Mister Big ou la glorification des relations toxiques", Éditions Québec Amérique, 2021, 9782764443255

Shaynning

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