Après avoir lu et relu Les Grandes Blondes, il me fallait bien m'ouvrir à un autre livre de Jean Echenoz.
Même si j'ai moins aimé Envoyée spéciale, je n'ai pas été déçue. Echenoz maitrise son style parfaitement, tout en le testant continuellement. L'absurde est présent plus que jamais. Plus d'une fois, j'ai cru mourir de rire en lisant un passage ridicule au coeur d'une scène de violence inouïe. Car dans l'univers d'Echenoz, ce n'est pas l'action qui importe, ni même les personnages, tous plus ou moins cas sociaux. Lorsque l'action prend un tournant inattendu, l'auteur vous met un stop tout de suite : inutile de s'emballer, je ne vous raconterais pas l'histoire comme vous aviez l'intention que je vous la raconte. Inutile de chercher, c'est moi qui décide ce qu'il se passe ensuite, même s'il faut passer par des scènes ahurissantes pour tromper l’irrésistible désir du lecteur de deviner la suite.
La façon d'Echenoz de créer du suspense, c'est de prendre à revers toutes les attentes du lecteur. Pris au piège, il ne faut tout de même pas s'endormir. D'ailleurs l'auteur ne le permet pas : il maîtrise trop bien son arme pour vous laisser refermer le livre. Car oui, on peut raconter n'importe quoi pendant 300 pages, faire tourner la tête du lecteur, le mener en bateau et multiplier les non-sens, pourvu qu'on sache manier la plume comme Jean Echenoz sait le faire.
Car il faut pouvoir la faire, cette digression d'une page sur la tonalité des voix du métro alors même que Tausk vient de recevoir un bout de doigt de sa femme par la poste. Un bout de doigt ? Oui, oui, un bout de doigt. Rien n'est impossible dans l'univers d'Echenoz, et c'est pour ça qu'il sait nous tenir en haleine jusqu'à la fin.
Malheureusement, je trouve que son style s'essouffle sur un format aussi long. L'absurde n'est pas censé avoir de sens, mais il faut bien lui trouver une force pour pouvoir le partager d'un cerveau tordu à un autre sur autant de pages. Je dois avouer que j'ai dû me forcer un peu pour aller jusqu'à la fin - qui ne m'a pas vraiment impressionnée.
Mais c'est sans rancune, car quand on maitrise la littérature de la sorte, on peut se permettre bien plus que l'écrivain du réel, coincé dans les contraintes que l'on connait trop bien pour y être confronté au quotidien. Alors par pitié, continuons d'écrire comme ça pour s'échapper du réel, c'est un vent de fraîcheur et ça n'a pas de prix.