Pour Trois sœurs (2022), Laura Poggioli s’inspirait de faits réels particulièrement violents, datant de 2018 en Russie. Succès aidant, se ferait-elle une spécialité de ces faits qui agressent l’humain en nous ?
La narratrice qui reprend des études, choisit de passer quelque temps dans un service hospitalier en tant qu’observatrice. Le service en question accueille et héberge des personnes gravement perturbées par des addictions. Elle reconnaît une certaine fascination pour ces cas lourds, on comprend assez rapidement pourquoi. Reconnaissant que les addictions résultent d’une faiblesse très humaine, elle-même se sait sujette à quelques-unes, certaines avouables, d’autres beaucoup moins.
Dans un premier temps
Le livre se concentre sur les méfaits de l’invasion du numérique dans nos univers domestiques et professionnels, créant une véritable dépendance qui profite aux industries de ces technologies. La narratrice rappelle au passage que certains concepteurs (de jeux vidéo par exemple), parce qu’ils en ont les moyens, placent leurs enfants dans des écoles les mettant à l’abri de toute tentation vis-à-vis du numérique (mais on se demande comment ils seront ensuite perçus, dans leurs vies d’adultes). Effectivement, l’utilisation abusive de tous ces objets avec écran (TV, tablettes, téléphones, etc.) implique un enfermement de l’individu dans un système où il s’isole toujours davantage de ses semblables. L’utilisation du numérique est donc un facteur de déshumanisation de nos sociétés. Le vrai souci, c’est le manque de moyen simple ou naturel pour lutter contre cette fascination pour ces écrans lumineux où on observe du mouvement, une fascination qu’on observe dès le plus jeune âge (exploitée malheureusement par de nombreux parents pour obtenir une relative tranquillité).
Dans un deuxième temps
La narratrice s’étend de plus en plus sur son propre cas. On sent qu’elle peut se le permettre, parce que les faits remontent suffisamment loin pour qu’elle puisse les considérer avec un regard extérieur.
Elle a donc été addict d’une relation avec un homme qui s’est malheureusement avéré être du genre pervers narcissique franchement dangereux. De plus, cet homme a utilisé sans scrupule toute la gamme des possibles offerte par la technologie de son époque.
« Dans ce roman, tout est vrai et tout est faux. »
Voilà ce que reconnaît Laura Poggioli en interview. On s’en doutait : voir l’ultime remerciement à son mari qui fait écho à la phrase d’Annie Ernaux tirée du roman La honte (1997) placée en épigraphe. Tous les cas décrits par sa narratrice dans l’unité hospitalière où elle fait son stage d’observation correspondent à ce qu’elle-même a pu découvrir à l’unité d’addictologie de l’hôpital Robert Debré dans des conditions similaires. Bien entendu, elle a tout retravaillé et modifié les prénoms. Voilà pourquoi cette partie donne une impression de témoignage. De même, la partie centrée sur le passé de Lara reprend le propre vécu de Laura Poggioli, modifié selon une recette personnelle. On note cependant son choix de ne jamais citer la personne qu’elle a côtoyée jusqu’à finir par atterrir aux urgences d’un hôpital dans un état psychologique catastrophique. On sent que, bien que cette partie de sa vie soit derrière elle qui a désormais fondé une famille, avec un mari et trois enfants (comme Lara), elle en garde un profond traumatisme. Il apparaît évident que ce livre lui sert d’exutoire.
Vivre avec les addictions
Il ressort de cette lecture que nous sommes tous, qui que nous soyons, des êtres humains avec des faiblesses très humaines. Tous vulnérables à des degrés divers et selon des points sensibles particuliers, nous sommes tous soumis à des addictions. Si certains peuvent néanmoins s’épanouir, d’autres n’ont pas cette chance. Bien qu’il évoque une multitude d’addictions, le livre se focalise sur les plus caractéristiques de notre époque. Il ne faudrait pas oublier que l’alcool, le tabac et les drogues qui circulent continuent de provoquer d’énormes dégâts. Il est néanmoins parfaitement adapté à notre époque de faire le point sur les effets de l’utilisation des réseaux sociaux, des téléphones portables et tous objets utilisant le numérique. En effet, l’addiction peut commencer très tôt, avec des jeunes aucunement préparés à affronter ce que les concepteurs de contenus élaborent pour capter l’attention et la maintenir : en tant que professionnels, ils connaissent toutes les ficelles et les appliquent sans états d’âme. Les cas de jeunes victimes de comportement addictifs sont tristement révélateurs. La technologie d’aujourd’hui donne des moyens effarants à des sociétés à but lucratif, mais aussi à des individus qui peuvent même agir dans l’anonymat. Tout ce qui se retrouve en ligne peut entrainer des conséquences sur le long terme ou bien ressortir quand on ne s’y attend plus. Ce que Lara finit par décrire dans le détail à propos de son passé fait froid dans le dos.
Zéro plaisir de lecture
A mon avis, le principal souci de ce livre, c’est qu’il n’affiche guère les caractéristiques d’un roman. En effet, longtemps, la narratrice (Lara, double évident de Laura Poggioli) décrit les différents cas de personnages addicts qu’elle observe au cours de son stage. Il s’agit beaucoup plus d’un inventaire des possibles que d’un roman. Le livre mériterait donc plutôt le qualificatif de témoignage. D’ailleurs, ces témoignages défilent trop vite pour qu’on s’attache aux différents cas, qui restent essentiellement des prénoms auxquels on n’associe que des personnalités trop vagues. Laura Poggioli écrit plutôt comme une journaliste, abordant un (brûlant) sujet de société qui lui permet d’évoquer indirectement son cas personnel. Il est des livres qu’on dévore par passion. Celui-ci, je l’ai terminé le plus vite possible pour m’en débarrasser. A force d’évoquer des cas d’addictions, puis d’aborder celui qui l’a mise elle-même en situation de perdition, Laura Poggioli tricote une ambiance malsaine que rien ne vient contrebalancer. Triste Époque qui voit une société placer ses enfants dans une telle position de vulnérabilité !
Critique parue initialement sur LeMagduCiné